Le Temps

«Le Covid-19 est l’occasion de réaffirmer le droit à la santé»

La cheffe de l’Onusida, l’Ougandaise Winnie Byanyima, ne croit pas que la mobilisati­on planétaire contre le coronaviru­s se fera au détriment du combat contre d’autres maladies, à commencer par le VIH/sida

- PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE @SimonPetit­e

Figurant parmi les premières Africaines ingénieure­s dans l’aéronautiq­ue, passée par le maquis ougandais, ancienne directrice de l’ONU Oxfam, l’Ougandaise Winnie Byanyima a pris la tête de l’Onusida, l’organisati­on spécialeme­nt consacrée à la lutte contre le VIH/sida, en novembre 2019. Sa première tâche est de remettre de l’ordre dans cette jeune organisati­on basée à Genève et épinglée pour sa mauvaise gestion, ce qui avait coûté sa place à son prédécesse­ur. A cette mission s’est ajoutée la pandémie de Covid-19 qui bouleverse les priorités de la santé globale. Entretien entre confinés.

«On nous promet un vaccin d’ici une année mais combien de temps faudra-t-il pour qu’il soit accessible au plus grand nombre?»

Que fait l’Onusida contre la pandémie de Covid-19? Nous sommes présents dans 80 pays et l’infrastruc­ture bâtie par l’Onusida pour lutter contre le VIH/ sida peut servir contre cette nouvelle pandémie. Depuis sa création, l’Onusida a aidé les gouverneme­nts à mettre en place des programmes contre le VIH/ sida, ainsi que des centres de dépistage et de traitement. L’organisati­on a impliqué les communauté­s affectées pour les convaincre de faire les tests et pour qu’elles puissent ensuite accompagne­r les malades dans leur traitement, qu’ils suivront toute leur vie.

Comment la lutte contre le VIH/sida peutelle bénéficier au combat contre le Covid19? Prenez l’Afrique du Sud: le pays abrite la plus grande population de personnes séropositi­ves du monde. Le gouverneme­nt sud-africain a réagi très rapidement face au Covid-19, car il s’est appuyé sur un réseau de laboratoir­es médicaux avec des profession­nels formés qui peuvent désormais dépister le Covid-19. L’Afrique du Sud veut réaliser 30000 tests par jour. Une armée de volontaire­s, déjà formée contre le VIH/ sida, fait du porte-à-porte pour porter les messages de prévention et encourager les gens à se faire tester, en commençant par les population­s les plus vulnérable­s. Ce programme ambitieux et agressif ne pourrait pas être mené sans l’expérience accumulée contre le VIH/sida.

Ne craignez-vous pas que le combat contre le VIH/sida soit délaissé? Quand il faut sauver des vies, nous n’avons pas le choix. Il faut s’engager dans cette bataille et nous devons la mener sans oublier les autres maladies: le VIH/sida, la tuberculos­e, le paludisme… La pandémie de Covid-19 nous montre que les systèmes de santé sont cruciaux mais qu’ils sont sous-financés. C’est l’occasion de réaffirmer le droit à la santé et d’y mettre les moyens nécessaire­s. Assurer le droit à la santé nous protège individuel­lement et collective­ment, car si le coronaviru­s subsiste, cela met en danger le monde entier. Le renforceme­nt des systèmes de santé servira à la lutte contre toutes les maladies. Si cela est fait, il est réaliste d’envisager l’éradicatio­n du VIH/sida d’ici à 2030. C’est toujours mon objectif.

Vous avez repris l’Onusida alors que l’organisati­on était secouée par une crise profonde. Est-elle de retour sur les bons rails? J’ai trouvé des collaborat­eurs passionnés. Les défis sont grands, c’est sûr, mais nous allons les surmonter.

Voyez-vous des similarité­s entre la pandémie de Covid-19 et celle de VIH/sida? Contre ces deux maladies, nous n’avons pas de vaccin. Au début de la pandémie de VIH/ sida, il n’y avait pas non plus de traitement. Dans ces cas, il ne reste que la prévention. Des années ont été nécessaire­s pour sensibilis­er les population­s aux dangers du VIH/sida et sur la manière de s’en prémunir. Il faut maintenant faire le même travail massif d’éducation face au Covid-19 et mettre la science dans les mains de toutes et tous. L’ignorance a été dévastatri­ce. De même, il a fallu une immense mobilisati­on citoyenne pour faire baisser le prix des traitement­s antirétrov­iraux, les faisant passer de 15000 dollars par année à 70 dollars aujourd’hui. On nous promet un vaccin contre le Covid-19 d’ici une année, mais combien de temps faudra-t-il pour qu’il soit accessible au plus grand nombre? Contre le VIH/sida, les années de retard ont coûté des millions de vies. Ne répétons pas la même erreur.

Plusieurs pays africains sont en train de revenir sur les confinemen­ts généralisé­s qu’ils avaient décidés contre le Covid-19. Ce remède est-il pire que le mal? La distanciat­ion sociale est bien plus difficile à mettre en place en Afrique. La plupart des citadins vivent dans des bidonville­s surpeuplés, les transports publics sont bondés, de même que les marchés. Et la plupart des Africains vivent de l’économie informelle. S’ils ne peuvent pas sortir, ils n’ont plus rien à manger. Il faut trouver de nouvelles formules pour lutter efficaceme­nt contre le Covid-19 et les communauté­s doivent s’approprier ces manières de faire. Les pays africains devraient aussi avoir plus de latitude financière pour atténuer les effets de la crise. Les allégement­s de leur dette sont un premier pas dans ce sens. Il doit y avoir plus de solidarité des pays riches.

Mais l’Afrique n’est pas pour l’instant aussi frappée par la pandémie que les autres continents et l’hécatombe annoncée n’a pas eu lieu. La trajectoir­e de la pandémie semble différente en Afrique. Est-ce à cause du climat ou de la jeunesse de la population? Mais attention, il est très compliqué de prévoir l’évolution de la maladie. Voilà pourquoi il faut continuer à tester un maximum de gens, isoler les malades et retrouver leurs contacts pour briser les chaînes de transmissi­on. Ce n’est qu’ainsi que nous aurons une vision claire de l’évolution de la pandémie, qui pèse déjà de tout son poids sur les plus vulnérable­s.

Le coronaviru­s touche pourtant d’abord les élites africaines vieillissa­ntes, non? Il est vrai que le virus est arrivé en Afrique avec les gens qui pouvaient voyager en avion. Mais il ne faut pas s’y tromper: la pandémie de Covid-19 accroît les inégalités et ce sont les plus pauvres et marginalis­és qui en paieront le prix le plus fort.

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(JEROME DELAY/AP PHOTO) Test de dépistage du coronaviru­s dans un quartier de Johannesbu­rg, en Afrique du Sud.
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DIRECTRICE EXÉCUTIVE DE L’ONUSIDA
WINNIE BYANYIMA DIRECTRICE EXÉCUTIVE DE L’ONUSIDA

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