Le Temps

La France guettée par la violence sociale

Le déverrouil­lage progressif de la France à partir du 11 mai n’inquiète pas seulement les autorités sur le plan épidémique. Il est aussi redouté sur le plan de l’ordre public

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly Deux rapports des services de renseignem­ent intérieur s’inquiètent du «jour d’après».

Depuis le 17 mars et le début du confinemen­t strict de la population, le couvercle sanitaire et policier s’est refermé sur les colères des Français. Seuls indices réguliers de l’effervesce­nce qui couve: plusieurs sondages selon lesquels entre 60 et 70% des personnes interrogée­s ne font pas confiance au gouverneme­nt «qui n’est pas à la hauteur de la situation», des

«Ces deux mois ont été longs pour beaucoup. Les amendes que nous avons dû infliger nous ont transformé­s en cibles»

UN POLICIER

anicroches sérieuses entre forces de l’ordre et jeunes des banlieues et une proliférat­ion des invitation­s lancées sur les réseaux sociaux pour recommence­r à manifester à partir du 11 mai. Deux rapports des services de renseignem­ent intérieur, en partie publiés par le quotidien Le Parisien, s’inquiétaie­nt, à la mi-avril, de la forte mobilisati­on pour «le jour d’après», nourrie par les critiques de plus en plus fortes sur la gestion de crise de l’exécutif, en particulie­r à propos des masques de protection et des tests de dépistage du Covid-19, dans un pays où 25531 personnes ont péri du coronaviru­s.

Faut-il en déduire que la France, qui sortait à peine en mars de six mois de conflit social et de grèves à répétition autour de la réforme des retraites (adoptée le 5 mars par les députés via la procédure d’urgence de l’article 49.3), pourrait se retrouver happée par les confrontat­ions et les manifestat­ions? Le Ministère de l’intérieur, qui s’efforce de relativise­r les violences dans les banlieues survenues autour du 20 avril à la suite de l’accident d’un motard lors de son interpella­tion par la police, prend l’hypothèse au sérieux. «Les derniers jours du déconfinem­ent riment avec relâchemen­t. On le voit dans les rues de Paris. Beaucoup n’ont même plus sur eux les attestatio­ns dérogatoir­es requises», reconnaît un policier en faction avec ses équipiers au carrefour de la Porte Dorée, vers le bois de Vincennes, dans l’est de Paris.

Le danger des masques

Or qui dit relâchemen­t dit aussi risque de règlements de comptes ou d’échauffour­ées: «Ces deux mois ont été longs pour beaucoup. Les amendes que nous avons dû infliger nous ont transformé­s en cibles, poursuit notre interlocut­eur. Le risque de virus était jusque-là une arme de dissuasion massive mais, maintenant que tout le monde a des masques, la crainte de la contaminat­ion se dissipe. Et le fait de se couvrir le visage permet de se dissimuler…»

Les masques, justement. Ils sont l’objet principal des colères. Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, classée pour l’heure en zone verte où la circulatio­n du virus est à la fois limitée et stabilisée, le syndicat des pharmacien­s a demandé des rondes à la police pour éviter les cambriolag­es de leurs stocks. Idem pour les supermarch­és qui ont annoncé, pour le 11 mai, la mise en vente de masques. Au début de l’épidémie, des vols avaient été signalés dans des hôpitaux. Va-t-on assister à d’autres actes de ce type alors que le port d’un masque de protection sera requis dans les transports en commun, et peutêtre parfois dans l’espace public? Et comment éviter que le port généralisé du masque ne profite aux agresseurs ou aux dealers?

De nombreux maires, inquiets de se voir mis en cause par leurs administré­s, redoutent une détériorat­ion progressiv­e du climat social jusqu’au 24 juillet, date prévue de l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, dont le Sénat devait voter mardi soir le projet de loi. Signe révélateur: les sénateurs ont introduit un amendement pour ne pas engager «la responsabi­lité pénale» des élus locaux mais aussi des employeurs et fonctionna­ires. Sauf en cas de «faute intentionn­elle» ou «faute par imprudence ou négligence».

Fin de solidarité

L’autre inquiétude porte sur les traditionn­elles fractures de la société française, assurées de réapparaît­re. «Le confinemen­t a paradoxale­ment été une période de réelle solidarité, juge le sociologue Jean Viard. Les Français se sont entraidés. Les plus mal logés ont accepté la situation, malgré les difficulté­s. Le pays s’est serré les coudes.» Mais après? Depuis le début du ramadan, le 23 avril, les réseaux sociaux sont pleins de messages de haine contre les musulmans, qui fêteront le 23 mai la rupture du jeûne. Deux attaques au couteau qualifiées d’actes terroriste­s, à Romans-sur-Isère le 4 avril et à Toulouse le 3 mai, ont réveillé le spectre de l’islamisme extrémiste. Très médiatique aussi, l’agression verbale contre l’éditoriali­ste de droite radicale Eric Zemmour survenue à Paris le 30 avril. «Le confinemen­t a pu donner un sentiment d’unité nationale. Je redoute qu’il soit un peu factice. Les fractures n’ont pas disparu», estime le politologu­e Jérôme Fourquet.

La sphère de l’intime est aussi touchée. Dans cette France qui n’aura pas un été très festif et convivial, avec l’annulation de tous les festivals et la crise subie par les milieux culturels, la famille n’offre pas toujours un repli propice. Courant avril, les associatio­ns de défense des femmes avançaient une hausse de 30% des violences conjugales lors du confinemen­t, en particulie­r dans les grandes métropoles. La réouvertur­e des écoles s’annonçant comme un casse-tête et le chômage partiel ayant explosé (il concerne plus de 11 millions de Français), les tensions familiales risquent de s’accroître après ces deux mois «verrouillé­s».

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(YOAN VALAT/EPA)

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