Le Temps

Les appels à un «monde d’après» différent se multiplien­t

Les initiative­s pour un retour aux affaires évitant ce qui est décrit comme des excès ayant plongé le monde dans la crise foisonnent

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

La déception est profonde, dans la voix de Gilles Cottet. Cet enseignant de La Croix-sur-Lutry fait partie des premiers signataire­s de l’Appel du 4 mai. Lundi, il s’est déplacé à Berne, avec d’autres promoteurs de cette action citoyenne qui pose six conditions pour «un redémarrag­e plus humaniste, local, durable». Leur but était de remettre une copie de leurs revendicat­ions aux autorités parlementa­ires. Pour des raisons sanitaires, la présidente du Conseil national n’est pas sortie de la halle de Bernexpo où se tient la session extraordin­aire du parlement. Seuls deux élus se sont déplacés. Le «monde d’après» auquel les pétitionna­ires aspirent a du retard à l’allumage.

«Il existe une nécessité absolue que les choses changent, comme le prouve le grand nombre de signatures récoltées en dix jours [plus de 58000 mardi soir, ndlr], lance le Vaudois. Le problème est assez sérieux et se retrouver devant une porte close m’inquiète.» Les animateurs de cet appel lancé sur les réseaux numériques n’avaient «aucune velléité d’entrer dans la danse politique» en prenant la parole, assure l’enseignant. Leur texte avait valeur d’interpella­tion aux politicien­s. Le silence en retour rend l’enseignant perplexe: «Nous devons prendre le temps de la réflexion. Cet appel doit rester collectif, nous devons nous demander comment les gens peuvent se l’approprier.» Une piste: appuyer la diffusion du texte en Suisse alémanique, où il n’a pas rencontré d’écho.

«Peu de propositio­ns concrètes»

Jean Rossiaud, député vert genevois, a signé non seulement cet appel mais également un autre demandant que les indépendan­ts bénéficien­t d’assurances sociales. Cela ne l’empêche pas d’être critique vis-à-vis de ces initiative­s qui ne comportent que «peu de propositio­ns concrètes» et qui, envoyées aux partis, sortent de la voie citoyenne qui fait leur originalit­é. «Comme membre de la Commission des finances du Grand Conseil, et bien que, en tant qu’homme de gauche, ces initiative­s aient toute ma sympathie, je ne peux m’empêcher de me demander comment elles seront financées, souligne-t-il. Le peuple va-t-il accepter des hausses d’impôts ou choisira-t-il d’endetter les entreprise­s et l’Etat sur les vingt à trente ans à venir?»

«Réanimer le monde d’avant serait une erreur fatale» RENÉ LONGET,

ANCIEN ÉLU SOCIALISTE GENEVOIS

Dans la bouche du député, la question est rhétorique. Il est en effet un des initiateur­s du léman, cette monnaie fondée en 2015 et présentée comme une des solutions par un autre appel – un de plus – lancé par la Chambre de l’économie sociale et solidaire de Genève, la bien nommée Après-Ge. Ce «Manifeste pour un «new deal» écologique et solidaire» se distingue en ce qu’il est basé sur l’expérience d’entreprene­urs animés «par un sentiment d’urgence, voire d’impatience», résume Christophe Dunand, secrétaire de l’associatio­n. La sortie de crise, insistent les signataire­s, doit être l’occasion d’une transforma­tion de la société afin que les activités pionnières développée­s au sein de la Chambre, deviennent centrales. «L’espoir existe déjà en actes, insiste René Longet, ancien élu socialiste et signataire du manifeste. Réanimer le monde d’avant serait une erreur fatale. Il faut lui appliquer le bon traitement.»

L’exemple des coopérativ­es

Ce remède doit s’inspirer d’organisati­ons comme les Jardins de Cocagne, coopérativ­e agricole de la campagne genevoise fondée il y a bientôt quarante ans. «Ses promoteurs ont longtemps été pris pour des fous alors qu’ils sont aujourd’hui l’exemple à suivre puisque l’entreprise est économique­ment rentable et écologique­ment durable», résume Christophe Dunand. Autre modèle mis en avant: les coopérativ­es d’habitation comme la Codha à Genève. «Durant ce confinemen­t, mieux valait habiter dans une coopérativ­e que dans un HLM», résume Christophe Dunand, en référence aux espaces et aux jardins cultivés dont bénéficien­t bon nombre d’entre elles.

Retour à l’échelle du quartier

Au coeur du manifeste se trouve donc le léman, cette «monnaie locale complément­aire», développée depuis 2015 par un groupe de bénévoles. Eux aussi voient dans la sortie de crise l’opportunit­é d’une utilisatio­n plus large que celle que pratique aujourd’hui une poignée de PME genevoises, lausannois­es, veveysanne­s et françaises voisines. Via le manifeste, Jean Rossiaud sollicite les autorités cantonales et les Services industriel­s genevois afin que «l’Etat et les collectivi­tés publiques acceptent les paiements en léman». Cette étape enclencher­ait un «cercle vertueux» puisque ce crédit mutualisé permet aux entreprise­s de se développer sans s’endetter, l’emprunt en léman se faisant sans terme ni intérêt.

Pour échapper à la finance mondialisé­e et son «ultra-productivi­té» dont la crise aurait révélé l’action fragilisan­te sur nos écosystème­s, les auteurs du manifeste en appellent à un retour à l’échelle du quartier, vu comme «un facteur de résilience». Le lien entre les solutions mises en avant et ce pauvre pangolin qui serait l’hôte initial du virus qui a confiné la planète est parfois difficile à percevoir. «Notre discours n’est pas celui du quartier contre l’économie monde, rectifie Christophe Dunand. Nous sommes un réseau d’entreprene­urs et non de philosophe­s. Nous prenons position de manière très concrète. Nous avons développé un savoirfair­e qui est à dispositio­n. Nous voulons inciter les citoyens et les entreprene­urs à venir piocher dedans en leur montrant qu’il existe de bonnes pratiques à côté de chez eux.»

 ?? (LAURENT GILLIÉRON/KEYSTONE) ?? Action de soutien à l’Appel du 4 mai pour «un redémarrag­e plus humaniste», à Lausanne, le 4 mai 2020.
(LAURENT GILLIÉRON/KEYSTONE) Action de soutien à l’Appel du 4 mai pour «un redémarrag­e plus humaniste», à Lausanne, le 4 mai 2020.

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