Le Temps

Arnaud Lagardère, un vainqueur si français

MÉDIAS Maintenu dans ses fonctions à l’issue de l’assemblée générale de son groupe ce mardi 5 mai, Arnaud Lagardère a remporté son bras de fer financier contre ses adversaire­s grâce au renfort de l’establishm­ent français. Avec Nicolas Sarkozy à la rescous

- RICHARD WERLY, PARIS t @LTwerly

Cette bataille-là était, pour l’élite politico-médiatique française, presque aussi importante que celle menée contre l’épidémie de Covid-19. Sorti vainqueur, mardi 5 mai, du conflit qui l’opposait au fonds britanniqu­e Amber pour le contrôle de son groupe Lagardère-Hachette (6,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019), Arnaud Lagardère peut être satisfait. Malgré l’étalage dans les médias depuis plusieurs semaines de son train de vie dispendieu­x et de ses qualités douteuses de grand patron, sa fine analyse des enjeux de pouvoir en France et sa capacité à s’attirer les bons alliés lui ont permis de survivre.

Toutes les motions présentées par Amber (18% du capital, 14% des droits de vote) ont été rejetées et aucun des représenta­nts de cet actionnair­e n’a été élu au conseil de surveillan­ce. Une victoire acquise par Arnaud Lagardère grâce à trois hommes clés: l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, le magnat Vincent Bolloré (groupe Bolloré-C8-Vivendi-Canal+) et l’influent Marc Ladreit de Lacharrièr­e (Fimalac).

Défaite des «agresseurs» capitalist­iques britanniqu­es

Cette bataille, qui s’est soldée mardi par la défaite des «agresseurs» capitalist­iques britanniqu­es, était un enjeu à plusieurs facettes.

Enjeu dynastique, puisque l’héritier et homme fort du groupe,

Arnaud Lagardère – qui contrôle cette société cotée en bourse grâce à une commandite, avec environ 7% du capital –, est contesté depuis des années pour son management erratique et son train de vie dispendieu­x, à l’origine d’une dette personnell­e de plus de 160 millions d’euros (sur laquelle il a refusé de s’exprimer lors de l’AG, malgré les questions).

Enjeu politique, symbolisé par l’entrée de l’ancien président Nicolas Sarkozy au conseil de surveillan­ce du groupe, avec pour mission de s’assurer du soutien pro-Lagardère du fonds souverain du Qatar, actionnair­e à hauteur de 13%.

Enjeu médiatique et économique traduit par l’arrivée récente du magnat Vincent Bolloré (dont la holding contrôle Canal+ et la chaîne C8) dans le capital de Lagardère-Hachette, aux côtés de l’influent Marc Ladreit de Lacharrièr­e.

Enjeu électoral enfin, compte tenu de l’influence d’Hachette via Paris Match, Le Journal du

Dimanche, et la radio Europe 1, à mi-chemin du quinquenna­t agité d’Emmanuel Macron.

Evoquer la bataille pour le contrôle de Lagardère-Hachette, dont le fleuron lucratif est la branche «Travel Retail» dans les aéroports et les gares, oblige à remonter les fils d’un capitalism­e français imbriqué avec la conduite de l’Etat. Le père d’Arnaud Lagardère, Jean-Luc, décédé en 2003, était un ingénieur ayant fait fortune dans l’armement (groupe Matra) et dans les médias avant de perdre des milliards dans l’aventure télévisuel­le de la Cinq, première chaîne privée française (1990-1992). Son fils Arnaud, né en 1961, n’a jamais eu ni le charisme, ni le talent de son père pour les affaires… Au point d’être aujourd’hui accusé d’avoir dilapidé les actifs de son groupe pour financer son luxueux train de vie.

Un gagnant dos au mur

Amateur de sport, plus à l’aise hors de France que dans les cercles élitistes de l’Hexagone dont il connaît par coeur les arcanes, Arnaud Lagardère se retrouve aujourd’hui vainqueur, mais le dos au mur, alors que son groupe a affiché des pertes limitées de 15 millions d’euros en 2019 (contre 177 millions de profits en 2018). Son contrôle de l’entreprise grâce à une commandite – qui scelle son pouvoir malgré sa participat­ion minoritair­e – demeure contesté et plus que jamais dépendant de ses bailleurs de fonds – à commencer par le Crédit Agricole – et de ses soutiens politico-financiers.

L’autre facette de ce combat est en effet la recomposit­ion du paysage médiatique et éditorial en

France. Alors que le milliardai­re tchèque Daniel Kretinsky est devenu l’un des acteurs de premier plan dans le pays en rachetant en octobre 2018 la plupart des magazines de Lagardère (dont Elle et Télé 7 Jours), puis en prenant une participat­ion dans le capital du Monde, le combat est rude entre d’autres acteurs comme le groupe Bolloré, le groupe Bouygues (TF1), le groupe Altice (du milliardai­re Patrick Drahi, basé en Suisse) et Xavier Niel (Le Monde, plus des quotidiens régionaux). Or le groupe Hachette Livre est le premier éditeur de France avec Fayard, Grasset ou Calmann-Lévy.

Ironie de l’histoire, l’un des héritiers de la famille Calmann-Lévy est d’ailleurs aujourd’hui un adversaire d’Arnaud Lagardère dont il a dénoncé, lors de l’AG des actionnair­es, le comporteme­nt «féodal». Le fait que Vincent Bolloré contrôle, via Vivendi, le groupe Editis (La Découverte, Perrin…) depuis 2019 ne fait donc qu’alimenter les hypothèses d’un futur démantèlem­ent, même si celui-ci nie vouloir se porter acquéreur d’Hachette.

Arnaud Lagardère est contesté depuis des années pour son management erratique et son train de vie dispendieu­x

L’une des facettes du combat qui s’est joué mardi est la recomposit­ion du paysage médiatique et éditorial en France

 ?? (CHRISTOPHE MORIN/IP3/GETTY IMAGES) ?? Arnaud Lagardère – ici le 3 mai 2018 à Paris – a gagné la bataille qui l’opposait à son premier actionnair­e, le fonds Amber. qui souhaitait renouveler le conseil de surveillan­ce du groupe Lagardère puis écarter son gérant.
(CHRISTOPHE MORIN/IP3/GETTY IMAGES) Arnaud Lagardère – ici le 3 mai 2018 à Paris – a gagné la bataille qui l’opposait à son premier actionnair­e, le fonds Amber. qui souhaitait renouveler le conseil de surveillan­ce du groupe Lagardère puis écarter son gérant.

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