La responsabilité de l’OMS et les attaques absurdes de Trump
Ce n’est pas tant la rhétorique d’un président ayant des réactions excentriques qui est inquiétante, mais le fait que de nombreuses personnes profitent de ses attaques pour faire porter à l’OMS la responsabilité de la mauvaise gestion de la crise du coronavirus. Certes, l’OMS a souffert de dysfonctionnements profonds. Mais il serait injuste de lui reprocher la gestion de la crise avant tout examen objectif alors que peu de pays s’étaient préparés à une telle crise, et ce, malgré tous les signes avant-coureurs. La France et les Etats-Unis collaboraient avec la Chine, conscients de leurs projets et des problèmes de sécurité de leur laboratoire à Wuhan. Il est donc peu judicieux de diminuer la crédibilité de l’OMS alors que le monde a plus que jamais besoin d’un consensus scientifique afin de gérer cette crise de manière globale et solidaire.
Il convient de noter que l’OMS est une organisation intergouvernementale. En tant que telle, elle dépend des décisions de ses pays membres. Ce sont eux qui sont les maîtres de l’OMS et non l’inverse. Ils décident de sa gouvernance, de ses priorités, de son fonctionnement, de son budget et évaluent son travail. L’OMS n’est pas une autorité de réglementation. Elle n’a ni autorité ni pouvoir sur les pays membres pour leur dicter leur comportement. Toutefois, l’OMS a servi la communauté internationale avec le Règlement sanitaire international (RSI). Il s’agit d’un instrument juridique qui oblige les Etats membres à déclarer les maladies répondant à des critères épidémiologiques d’importance internationale. Le RSI dépend du bon vouloir des Etats. Il n’a de force que si, dans leur propre intérêt, les Etats respectent leurs engagements.
En vertu de ce règlement, la Chine était tenue de déclarer son épidémie. Mais la Chine a d’abord sous-estimé l’importance de ce virus, a étouffé les voix de ses lanceurs d’alerte, a brouillé l’enquête sur l’origine de l’épidémie et a dissimulé la situation réelle. Dans une telle situation, aucune organisation, aussi performante soit-elle, ne pourrait assumer correctement ses responsabilités. L’OMS a été critiquée pour être trop complaisante avec la Chine. Ces critiques venant des Etats-Unis sont déplacées. Ce pays a toujours eu une influence dominante tant dans la gouvernance de l’OMS que dans ses contributions scientifiques. L’un des conseillers de l’OMS dans la gestion de cette crise est un ancien expert des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des Etats-Unis. Pendant de nombreuses années, il a dirigé le département des maladies transmissibles de l’OMS.
L’OMS est une organisation technique qui opère dans un environnement politique. Dans une telle situation, la rigueur et le consensus scientifique doivent primer autant que la diplomatie. Surtout, lorsqu’il s’agit de travailler avec une superpuissance qui a une culture de dissimuler l’information. Dans de telles conditions, ce n’est que par la diplomatie que l’organisation peut convaincre son maître de lui fournir les informations nécessaires. Entre autres critiques, l’organisation est accusée d’avoir annoncé tardivement la crise. Au-delà des explications données ci-dessus, il faut voir que nous sommes dans une situation de crise avec un pathogène inconnu et une source d’information peu fiable. Toute erreur pourrait avoir d’énormes conséquences à l’échelle mondiale. Elle pourrait tout aussi bien conduire à une alerte non fondée. Il n’est pas facile de collecter des informations, de les vérifier, de les analyser et d’établir un consensus scientifique. Chaque décision doit être mûrement réfléchie. Elle doit tenir compte aussi bien des conditions des pays industrialisés que des pays défavorisés, ainsi que des conséquences sur d’autres aspects de la vie.
L’OMS doit ménager des intérêts divergents, alors que chacun des pays membres veut tirer la couverture à lui. En cas de crise, le choix est entre la peste et le choléra. Quelle que soit la décision, l’issue risque d’être défavorable. Il serait toutefois malavisé de jouer au jeu du blâme et d’amoindrir les maigres ressources de l’OMS. Cette crise montre que par sa Constitution, l’OMS n’est peut-être pas suffisamment équipée pour relever les défis du monde moderne. Qu’il s’agisse de son autorité, de ses ressources, de sa structure et de son indépendance politique. Mais à qui la faute? A l’OMS ou à ses architectes qui ont délibérément conçu une organisation avec peu de pouvoir, peu de budget, pour qu’elle soit à leur merci.
Inévitablement, l’insuffisance des moyens rend l’organisation perméable aux fonds extérieurs, tant du secteur privé que des pays donateurs. En retirant leur contribution, les Etats-Unis la rendront encore plus vulnérable. Bon nombre d’autres reproches adressés à l’OMS, par exemple sa collusion avec le secteur privé, ne font que refléter l’attitude des pays membres. Les avis scientifiques de l’OMS sont aussi solides que l’éthique des scientifiques des institutions nationales. Les personnalités narcissiques, c’est connu, utilisent la stratégie du bouc émissaire: afin de ne pas assumer la responsabilité des conséquences de leurs propres actions, ils projettent leur culpabilité sur les autres. Comme un parent qui blâme son enfant pour les traits dont il a hérité!
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Cette crise montre que par sa Constitution, l’OMS n’est peut-être pas suffisamment équipée pour relever les défis du monde moderne