Le Temps

Sursaut nationalis­te en Chine

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

RÉACTION Attaqué de toute part, Pékin se défend en mêlant les commentair­es agressifs et les dons de masques. Dans l’Empire du Milieu, les défenseurs de la patrie sont piqués au vif

Sur Weibo, le Twitter chinois, le vitriol coule à flots en réaction aux attaques contre la Chine. «Les pouvoirs occidentau­x et les Etats-Unis font tout ce qu’ils peuvent pour nous réprimer, nous diffamer et nous contenir, alors que la gestion hasardeuse de l’épidémie par les Américains fait peser un risque énorme sur l’humanité, écrit un internaute appelé Zouzou Yuhai. C’est nous qui devrions leur demander des réparation­s à hauteur de plusieurs trillions de dollars.» «Les gouverneme­nts demeurés comme l’Australie ou le Canada sont de simples laquais des Etats-Unis, dit un autre appelé Rong Xicai. Tôt ou tard, la Chine leur cassera la gueule.» «Déclarons-leur la guerre, s’enflamme un troisième. Avons-nous peur d’eux?»

«Ces remarques sont le fait d’une frange nationalis­te qui gagne en importance en Chine, analyse Maria Repnikova, l’auteure du livre Media Politics in China: Improvisin­g Power under Authoritar­ianism. Certains de ces commentate­urs sont recrutés et rémunérés par les autorités, mais la majorité agissent de leur plein gré.» Une partie de ces Chinois en colère sont des membres de la diaspora vivant en Occident. «Ils ont été particuliè­rement enragés par les attaques xénophobes subies par la communauté chinoise», précise-t-elle.

Jeunes diplomates combatifs

Conscient de l’importance de ces voix pour faire oublier les manquement­s Pékin au début de la crise, l’appareil de propagande chinois les cultive en jetant de l’huile sur le feu. «Ces derniers mois, une génération de jeunes diplomates combatifs n’hésite pas à attaquer frontaleme­nt les pays occidentau­x», note

Dali Yang, un politologu­e de l’Université de Chicago. Le porte-parole du Départemen­t des affaires étrangères Zhao Lijian, qui a défendu la thèse d’un virus importé en Chine par l’armée américaine, est l’un d’eux. Tout comme cet employé de l’ambassade de Chine à Paris, resté anonyme, qui a accusé la France d’avoir abandonné les résidents d’EMS malades à leur sort. On les surnomme les «Wolf Warriors», du nom d’un film d’action chinois aux relents nationalis­tes.

Le gouverneme­nt a rapidement repris le contrôle sur la narration en censurant les critiques

Un second axe de propagande a pour but de démontrer la supériorit­é du système chinois. «Il s’agit de projeter l’image d’un régime qui est parvenu à vaincre le Covid-19 plus vite et avec moins de morts que d’autres pays développés», relève Surya Deva, expert des droits humains à la City University de Hongkong. La fourniture de médecins, de masques et de ventilateu­rs aux pays les plus touchés a en outre permis à la Chine de se présenter en «sauveteur du monde», selon Maria Repnikova.

L’opinion publique chinoise est toutefois moins monolithiq­ue qu’il n’y paraît. «La gestion de la crise du Covid19 a aussi généré un vaste mouvement de colère contre les autorités, accusées d’avoir dissimulé l’épidémie à ses débuts», note Dali Yang. Mais le gouverneme­nt a rapidement repris le contrôle sur la narration en censurant les critiques, en arrêtant une poignée de journalist­es citoyens et en noyant les internaute­s sous un déluge de récits glorifiant l’héroïsme du personnel médical.

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