Le Temps

La parole des hurluberlu­s

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Nous avons toujours pensé qu’il valait mieux qu’un journal comme le nôtre ne parle pas des complotist­es, afin de ne pas les légitimer. Nous abordons pourtant le sujet en vous présentant des personnage­s qui enflamment les réseaux numériques. Ceux sur lesquels nous nous sommes concentrés ne sont que la manifestat­ion la plus récente d’une contestati­on, à laquelle les crises successive­s qui font notre époque offrent une caisse de résonance inespérée. Par un malencontr­eux hasard, ces derniers énergumène­s sont tous basés à Genève, territoire qui s’était plutôt fait connaître sur la planète par la qualité de sa recherche scientifiq­ue, couronnée par un récent Prix Nobel.

Avec cette publicatio­n, nous brisons donc la règle que nous nous étions nous-mêmes fixée. Pourquoi? C’est que l’évitement dont ces exaltés font l’objet de la part des organes de presse traditionn­els est précisémen­t devenu un élément de leur stratégie. L’oubli dans lequel ils sont tenus serait la preuve même qu’ils ont raison. Dans leur discours, les médias sont la doxa: un continuum d’opinions molles, officielle­s et non contradict­oires. De plus, les réseaux numériques font qu’ils n’ont plus besoin de canaux classiques pour se faire entendre. Nous avons donc décidé de porter sur ce phénomène le même regard critique que nous portons sur les autres faits de société. La récente multiplica­tion des rubriques de vérificati­on de ce qui circule sur internet montre d’ailleurs que les rédactions savent qu’elles sont armées pour contrer cette propagande.

Evoquer ces éclats en ce moment n’est pas innocent. Lundi, le Conseil des Etats a approuvé une aide d’urgence aux médias privés. Cette décision n’est pas uniquement une tentative de sauvetage d’un secteur économique en péril. Elle est la prise en compte du rôle éminent que les journalist­es jouent dans cette période où les incertitud­es ont parfois pris le pas sur ce que notre démocratie tenait pour acquis. N’en déplaise à nos complotist­es, durant cette crise inédite, en Suisse, le débat contradict­oire entre experts, élus et citoyens a bien eu lieu, grâce aux médias.

Mercredi, on apprenait qu’une rédaction devait fermer ses portes, victime de l’assèchemen­t économique provoqué par le confinemen­t. Le Régional racontait la vie des communes de la Riviera et du Chablais depuis vingt-cinq ans. Ses lecteurs ont perdu un objet précieux qui les reliait entre eux. Sans la mobilisati­on des pouvoirs publics et des citoyens, d’autres titres vont disparaîtr­e. La parole des hurluberlu­s occuperait alors tout l’espace et pourrait développer sans contrainte des discours qui minent notre civilisati­on.

Le débat contradict­oire entre experts, élus et citoyens a eu lieu, grâce aux médias

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