Le Temps

«Les magasins sont aussi des lieux de contact»

DISTRIBUTI­ON Fabrice Zumbrunnen, directeur général du groupe Migros, revient sur les semaines folles de confinemen­t pour le géant de la de distributi­on. Même si la fréquentat­ion ses magasins d’alimentati­on a augmenté, les effets négatifs de la crise ne so

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHILDE FARINE, ZURICH @MathildeFa­rine

Le directeur général du groupe Migros, Fabrice Zumbrunnen, revient sur les semaines agitées que son entreprise a connues en marge de la pandémie. Pour lui, «les effets positifs, comme la hausse de fréquentat­ion dans les magasins, ne compensent pas les effets négatifs de la crise».

Fabrice Zumbrunnen a vécu une période en accéléré. Nommé il y a trois ans à la tête du groupe Migros, le Chaux-de-Fonnier revient sur les semaines de confinemen­t, durant lesquelles les Suisses se sont précipités sur ses sites d’e-commerce et dans ses magasins d’alimentati­on. Le patron du géant de la distributi­on évoque les changement­s d’habitudes des consommate­urs et les réouvertur­es à venir.

Comment avez-vous vécu cette période très spéciale? Elle a demandé une disponibil­ité de tous les instants. D’un côté, beaucoup de séances ou de rendez-vous ont été annulés et mon agenda s’est libéré. De l’autre, la crise était omniprésen­te, la journée, le soir, les week-ends. J’ai passé chaque jour au téléphone entre cinq et sept heures liées à cette crise.

Mon travail ne consiste normalemen­t pas à réagir à la minute près. Là, nous avons dû prendre dans l’heure des décisions qui se prennent d’habitude en semaines. Cette crise nous a transporté­s dans une autre dimension. Mais je suis fier de notre entreprise et je rends hommage au travail de nos fournisseu­rs. Nous avons tous aussi ressenti une certaine fierté de voir que, quand on réduit les activités économique­s à l’essentiel, le pays a besoin de Migros à tous les niveaux, aussi dans le domaine de la santé. C’est le côté valorisant de cette situation lors de laquelle, à aucun moment, je n’ai senti le besoin de motiver les collaborat­eurs.

Avez-vous aussi été confiné? Je me suis rendu à mon bureau tous les jours, j’y suis plus efficace et je voulais garder un contact physique avec mes collaborat­eurs, même si 95% d’entre eux, à Zurich, travaillai­ent à domicile. Je voulais aussi être présent dans les magasins – pas seulement les enseignes Migros, mais aussi Denner ou Migrolino – comme contributi­on symbolique de ma part et pour voir si nos efforts y étaient visibles. C’était le cas, parfois avec retard.

Pour le groupe Migros dans son ensemble, quel sera l’impact financier de la crise liée au coronaviru­s? Dans certains domaines, nous enregistro­ns une croissance jusqu’à deux chiffres, notamment dans les supermarch­és. Plus le magasin est petit et de proximité, plus la hausse de la fréquentat­ion est importante. De même, nous voyons un boom extraordin­aire des ventes sur internet. Les commandes ont vu une augmentati­on à deux chiffres pour les sites les plus connus, jusqu’à trois chiffres pour les moins connus. Un exemple: les Do it+ Garden, ont eu jusqu’à 100 fois plus de commandes online pour les articles de saison, comme le terreau. Nous sommes d’ailleurs contents de rouvrir, car il y avait quelque chose d’absurde à envoyer de la terre par La Poste.

Cette situation engendrera-t-elle donc un bénéfice? Non, on ne peut pas dire que les effets positifs compensent à 100% les effets négatifs, même si l’année avait très bien commencé. Les ventes en ligne n’ont pas compensé les chiffres d’affaires habituels en magasins. Certaines activités ont été réduites à néant, dont les fitness, les magasins spécialisé­s ou les agences de voyages. Et ce n’est pas fini: on peut par exemple dès lundi rouvrir les bureaux d’Hotelplan, ce qui n’est pas très utile puisqu’on ne peut pas voyager. Nous le ferons, peut-être avec une présence réduite, pour maintenir le lien avec la clientèle, mais c’est un geste symbolique. C’est néanmoins un cas isolé: les réouvertur­es se justifient pleinement dans tous les autres secteurs et nous pensons que nous aurons une bonne fréquentat­ion.

En revanche, à moyenne échéance, cette crise a confirmé nos orientatio­ns stratégiqu­es et nos investisse­ments colossaux dans les activités en ligne trouvent leur justificat­ion. C’est le cas des financemen­ts que nous avions décidé de faire pour de nouveaux centres logistique­s, par exemple. Nous pouvons donc envisager le futur sereinemen­t.

Dans quelle mesure la consommati­on a-t-elle changé? Nous observons deux tendances fortes, l’une sur la qualité et la proximité, qui rassure, avec une forte demande de produits bios. Dans ce domaine, nous sommes très bien positionné­s. La seconde concerne les produits M-Budget, qui, eux aussi, ont été très demandés. Dans un premier temps, les clients ont fait des réserves de pâtes, conserves, riz et farine, cela s’est calmé, mais cette dernière reste très demandée, tant la Suisse dans son ensemble s’est découvert une passion pour cuire son propre pain. De manière générale, les gens ont davantage cuisiné avec le confinemen­t et donc acheté des matières premières plutôt que des produits déjà prêts.

Ces changement­s seront-ils durables? La tendance à cuisiner va certaineme­nt diminuer avec le déconfinem­ent. Les produits prêts retrouvero­nt donc des acheteurs. En revanche, les produits de proximité et à prix bas resteront les plus consommés. Il restera également une plus grande tendance à commander en ligne, dans l’alimentair­e et le non-alimentair­e, la commodité d’achat jouera un grand rôle. Ce n’est pas surprenant en soi. Nous avions prédit cette évolution pour 2022-2023, mais elle a reçu un coup d’accélérate­ur.

Cela dit, les réouvertur­es freineront en partie ce boom. Nous avons vu que toutes les génération­s souffrent du manque de contacts sociaux. Le confinemen­t nous a montré l’importance de pouvoir rencontrer nos proches. Or les magasins sont aussi des lieux de contact. Je n’aimerais pas donner l’impression qu’il n’y aura que des achats en ligne, car je suis persuadé que les clients continuero­nt à avoir du plaisir à faire les courses et manger au restaurant Migros. Nous ressentons aussi une grande frustratio­n, en tant qu’acteur culturel important, d’avoir dû renoncer à beaucoup de manifestat­ions.

«Nous avons dû prendre dans l’heure des décisions qui se prennent d’habitude en semaines»

«Si les frontières avaient été fermées, les Suisses auraient dû manger plus de produits de saison»

Où avez-vous constaté des difficulté­s d’approvisio­nnement? Notre plus grosse difficulté initiale a consisté à faire face à la demande qui a explosé dans tous les domaines. Heureuseme­nt, nous avons vite pu corriger ce problème. L’incertitud­e suivante concernait les fermetures de frontières pour les marchandis­es qui ne nous auraient pas permis de faire face à la demande. Nous n’étions pas sûrs de pouvoir importer des fruits et légumes d’Espagne, par exemple. Heureuseme­nt, cette question a été rapidement résolue. Certains produits spécifique­s ont manqué, comme les désinfecta­nts ou les masques. Nos industries aussi ont eu parfois de la peine à se procurer certains produits d’emballage. Il faut savoir que Migros est un groupe verticalem­ent intégré qui produit lui-même les articles les plus appréciés de sa clientèle.

Nous sommes heureux d’avoir pu remplir notre mandat d’approvisio­nnement. L’effort collectif a été remarquabl­e, pas seulement au sein de Migros, mais aussi grâce à nos fournisseu­rs. Sans l’agricultur­e suisse, dont nous achetons 20 à 25% de la production, nous n’aurions pas eu à dispositio­n la même qualité d’offre.

L’intégratio­n verticale est-elle un atout dans cette crise? Oui, un très gros atout même, car elle nous a permis d’être très réactifs. A un moment où nous étions à court de désinfecta­nt, par exemple, nous avons pu en produire nous-mêmes. Ce n’est pas qu’anecdotiqu­e: dans d’autres domaines aussi, nous avons pu être flexibles, comme dans notre industrie de produits laitiers si des matières premières manquaient. Avoir notre propre industrie est aussi une garantie de qualité. On sait ce qui nous est

livré. Il y a néanmoins quelques limites: si les frontières avaient été fermées, les Suisses auraient dû s’adapter et manger un peu plus de produits de saison.

A quel point les clients se sont-ils plaints des retards de livraison, notamment pour LeShop? Il faut bien comprendre que l’ensemble des acteurs du commerce en ligne a dû faire face à des volumes extrêmes. J’ai participé à une séance de crise avec La Poste et nous avons trouvé des solutions, parce que cela n’aurait été dans l’intérêt de personne que le système implose. Il faut aussi comprendre qu’une demande en hausse de 50% chez Digitec/ Galaxus, c’est difficile, mais c’est gérable. Pour LeShop, on parle d’une augmentati­on de plus de 500%. Au début de la crise, toute la Suisse voulait commander en ligne. Si cela avait été possible, peut-être que personne ne se serait rendu dans les magasins.

C’est un problème de notre société: on croit trop souvent qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour que les choses se passent. C’est plus compliqué, surtout lorsqu’il s’agit de produits frais, réfrigérés ou congelés. De notre côté, nous avons aussi ressenti une certaine frustratio­n, car nous avions envie de satisfaire tous nos clients. On a fait l’impossible.

Pensez-vous en avoir fait assez pour la protection de vos employés, notamment au début de la crise? Cela a été notre obsession: comment protéger nos collègues, surtout ceux en contact avec les clients. Lors de la conférence de presse du Conseil fédéral, le 13 mars, nos magasins ont été envahis. Nous avons été surpris du déferlemen­t. Mais dès le lendemain, nous avons pris des mesures pour filtrer les entrées, mettre des distances ou du plexiglas. Nous avons fait travailler des entreprise­s de nuit pour mettre cela en place le plus rapidement possible. Nous avons toujours suivi les recommanda­tions de l’OFSP au fur et à mesure de leur déploiemen­t. Le 13 mars a vraiment été une exception. La Confédérat­ion a fait le pari de faire confiance à la responsabi­lité de chacun: de fait, les clients ont aussi rapidement intégré les mesures d’hygiène et de distanciat­ion, une discipline qui était nécessaire pour que cela fonctionne chez nous.

Qu’en est-il des gratificat­ions pour le personnel dont vous saluez le travail? Jusqu’ici, gérer la crise et remplir notre mission d’approvisio­nnement nous ont occupés en permanence. Désormais, nous préparons la réouvertur­e de certains magasins, qui demande chaque fois d’autres mesures et beaucoup d’énergie. J’aimerais souligner qu’on n’est pas encore sorti de la crise, dont on ne mesure par ailleurs pas encore les effets globaux. On ignore ce qui se passera ces prochains mois. Je suis extrêmemen­t reconnaiss­ant du travail réalisé par tous et à tous les niveaux et je suis persuadé que nous aurons l’occasion de discuter avec les partenaire­s sociaux.

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Pour Migros, «les effets positifs ne compensent pas les effets négatifs de la crise», indique le directeur général du groupe Fabrice Zumbrunnen.
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(DÉSIRÉE GOOD POUR LE TEMPS)

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