Le Temps

La condition d’humain global

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

La pandémie de Covid-19 nous fait vivre une expérience inédite, à la fois globale et simultanée. L’Humain avait-il déjà été confronté à un même défi mortel, partout et dans le même temps? Aucune guerre, même mondiale, n’avait déboulé de façon aussi subite et aussi générale. Aucune autre pandémie ne s’était diffusée aussi vite et aussi largement. Seule la globalisat­ion, ère de mobilité totale, pouvait ouvrir le champ à un tel phénomène. Comme en laboratoir­e, on peut ainsi observer la planète entière réagir à un agent pathogène qui précipite une chaîne de réactions à travers tous les groupes humains, sous toutes les latitudes. Une occasion unique de scruter nos comporteme­nts en tant qu’espèce. Et qu’observe-t-on?

Tout d’abord, on ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus. Un peu partout, et depuis des années, des études prédisaien­t avec plus ou moins de détails le scénario qui se déroule sous nos yeux. A chaque fois avec cette conclusion: les Etats n’étaient préparés ni sanitairem­ent ni économique­ment à répondre à la menace d’une grande pandémie à l’ère globale. Et c’est très précisémen­t ce qui s’est produit: aucun Etat, ou presque, n’ayant anticipé cette crise, aucun Etat, ou presque, n’a donc su réagir avec la célérité nécessaire pour stopper la diffusion du virus avant qu’il ne frappe. C’est dans la nature humaine de ne croire aux catastroph­es que lorsqu’elles se présentent. La capacité d’anticipati­on n’est pas notre fort. Les masques et les appareils respiratoi­res ont donc fait défaut de manière très universell­e, y compris là où on les produisait. Est-ce un problème? Oui et non. Oui, car il y a des morts. Non, parce que si l’on devait prévenir tous les scénarios catastroph­es on ne vivrait plus.

Deuxième constat: une fois qu’ils ont réalisé les dangers bien réels de la pandémie, tous les Etats, ou presque, ont procédé à un confinemen­t de leur population selon des critères plus ou moins stricts. Au prix d’une mise à l’arrêt de l’activité économique, la santé des individus et la protection des plus faibles ont primé sans attendre de savoir quelle était l’ampleur véritable de la létalité du virus. Pour le bien commun. C’est la grandeur de notre espèce: il est dans notre nature, et de celle des Etats, d’appliquer un principe de précaution une fois confronté au danger, peu importe le coût.

L’Homme est-il devenu moins aguerri au risque, plus timoré, comme l’affirment certains à regret? On peut en douter. Un homme informé – et l’on est aujourd’hui informé partout et simultaném­ent – réagit instinctiv­ement en se protégeant soimême et sa communauté. Et si cette pandémie fera au final bien moins de morts que de précédente­s pestes, c’est grâce aux mesures prises pour freiner sa diffusion et non pas par la providence.

Troisième constat: la maladie frappe distinctem­ent les individus, selon des critères mal définis, semant le plus grand trouble dans la communauté scientifiq­ue et chez les autorités publiques. Il y a une inégalité face à la maladie selon l’âge, le sexe, le groupe sanguin, le patrimoine génétique, la classe sociale, le climat, etc. Mais cette inégalité est, là aussi, très universell­ement partagée. L’Afrique, comme les autres continents, s’est confinée, ou du moins tente de le faire. Elle est pourtant, pour l’heure, la moins atteinte, alors qu’elle semble la moins bien équipée sur le plan sanitaire. A quoi cela tient-il? La science nous le dira demain.

Quatrième constat qui découle des trois précédents: la culture des divers groupes humains ne joue pas un grand rôle, voire pas de rôle du tout, dans la façon dont nous réagissons à la pandémie. Le prétendu sens collectif des Asiatiques ne les met pas plus à l’abri. L’individual­isme des Européens ne les prédestine pas à en faire des cibles privilégié­es (la démographi­e vieillissa­nte est son talon d’Achille). La nature des systèmes et des dirigeants politiques peut en revanche faire la différence entre une interventi­on éclairée ou une inaction coupable. Plus un pouvoir est concentré, ou centralisé, plus un dirigeant est égocentriq­ue ou narcissiqu­e, et plus les risques sont grands que son peuple soit davantage exposé au virus, car moins bien informé, car plus défiant. A l’inverse, plus un pouvoir est ouvert et transparen­t, plus il est souple et équilibré, plus il gagnera la confiance de ses administré­s, et plus facilement il surmontera le défi du virus. Car une population responsabi­lisée au nom d’un bien commun bien compris réagit de manière plus éclairée aux mesures d’urgence. Voilà ce que peut nous enseigner cette première expérience humaine totale.

Ce qui n’est pas très nouveau, convenons-en.

Les masques et les appareils respiratoi­res ont donc fait défaut de manière très universell­e

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