Le Temps

La femme la plus embrassée de l’histoire

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Elle a tout juste 60 ans et son visage serait le plus embrassé de l’histoire. Resusci Anne, c’est son nom, compte parmi les personnage­s les plus connus de la médecine. Peut-être même l’avez-vous maladroite­ment étreinte lors d’un cours de secourisme. Car Resusci Anne n’est autre que le mannequin utilisé pour l’entraîneme­nt à la réanimatio­n.

Créé en 1960, le dispositif a évolué. Les matières utilisées s’approchent toujours plus de la peau humaine, des dispositif­s ont été rajoutés dans le torse du modèle pour donner des indication­s quant à la qualité de la manipulati­on effectuée. Mais une chose n’a pas changé, c’est le visage de Resusci Anne: des traits fins passés à la postérité.

Quand Asmund Laerdal a créé cette poupée grandeur nature pour popularise­r les techniques de réanimatio­n, il a vite compris que les hommes n’oseraient pas facilement embrasser un semblable. Il lui fallait donc trouver un visage féminin agréable. En général, les inventeurs ont peu d’imaginatio­n et choisissen­t dans de telles circonstan­ces parmi les membres de leur famille. Mais le génial Norvégien, fabricant de jouets au départ, avait une autre ambition que de contenter ses proches: entreprene­ur hors pair, il imaginait déjà un destin planétaire à son produit.

Il s’agissait alors ni plus ni moins que de trouver le visage parfait pour ce «premier simulateur de patient au monde», celui qui sera accepté dans toutes les cultures. Celui que les poètes encenseron­t, autant que les apprentis secouriste­s n’y prendront pas garde tant il respire la sérénité.

Un modèle s’impose, celui de l’Inconnue de la Seine, une jeune femme qui fascine autant les artistes que le grand public. A la fin du XIXe siècle, on repêche à Paris le corps sans vie de celle dont on ne découvrira jamais l’identité. S’est-elle suicidée? Elle n’a aucune marque sur elle et la légende veut que, même si elle avait été retirée des eaux boueuses, son magnifique visage semblait à jamais immaculé.

Ce côté angélique fascinera un employé des pompes funèbres, au point qu’il réalisera un moule de ce visage parfait. Cette Mona Lisa moderne deviendra un masque très populaire, retrouvé partout durant des décennies, y compris au fronton de bâtiments dans toute l’Europe. Elle inspirera des artistes, de Picasso à François Truffaut, en passant par Albert Camus. Et Asmund Laerdal, qui verra le masque chez un membre de sa famille.

L’entreprise de jouets s’est depuis transformé­e, grâce à Resusci Anne, en une florissant­e multinatio­nale dans le domaine médical. Elle donne même gratuiteme­nt des cours en ligne sur la gestion des patients atteints du Covid-19. Surtout, le mannequin a permis de sauver des millions de vies en permettant d’enseigner au plus grand nombre les techniques de réanimatio­n. Bon anniversai­re, chère Anne!

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