Le Temps

«Cette crise est une opportunit­é pour eux de proclamer «je vous l’avais dit»

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHAMS IAZ @IazChams

Le nouveau coronaviru­s n’échappe pas aux théories conspirati­onnistes. Un phénomène attendu durant une crise, estime le sociologue Olivier Glassey, spécialist­e des usages du numérique à l’Université de Lausanne

La crise sanitaire que nous traversons engendre également une épidémie de rumeurs et de fausses informatio­ns. On veut nous enfermer, nous contrôler, nous empoisonne­r: les théories conspirati­onnistes liées au nouveau coronaviru­s pullulent sur les réseaux sociaux et s’invitent dans les messagerie­s privées. Pour Olivier Glassey, sociologue spécialist­e des usages du numérique à l’Université de Lausanne, ce phénomène est alimenté par un terreau préexistan­t, la quantité d’informatio­ns disponible­s et les incertitud­es scientifiq­ues actuelles.

Pourquoi les citoyens sont-ils plus vulnérable­s, plus enclins à croire des théories complotist­es durant une période de crise? Pendant ce confinemen­t, nous avons eu

OLIVIER GLASSEY SOCIOLOGUE

«Une rumeur s’étend d’autant mieux qu’elle bénéficie d’un terreau préexistan­t, soit des théories qui étaient en circulatio­n avant le Covid-19»

accès à énormément d’informatio­ns. Même celles officielle­s, provenant de sources légitimes, variaient d’une semaine à l’autre parce que la situation et les connaissan­ces évoluaient. Chacun s’est alors retrouvé à devoir développer sa propre compréhens­ion du monde, en suivant les nouvelles déclaratio­ns du Conseil fédéral, en croisant les informatio­ns et en cherchant à donner du sens à l’ensemble. Cette situation assez exceptionn­elle, qui laisse place aux incertitud­es, est donc propice à la création de fake news. Une grande partie d’entre elles circulent sur des canaux fermés, comme les messagerie­s instantané­es, et misent sur l’urgence. En disant «il faut faire attention à cela» ou «favoriser ceci pour se prémunir du virus», on incite le destinatai­re à partager ce contenu rapidement. Mais l’urgence se fait au prix d’un manque de recul et favorise la décontextu­alisation des contenus. Certains messages à l’origine humoristiq­ues, en circulant de proche en proche, se sont retrouvés assimilés à des faits. C’est un processus d’appauvriss­ement des éléments permettant la maîtrise du sens.

Qu’est-ce qui favorise l’émergence de ces théories, les alimente? Une rumeur s’étend d’autant mieux qu’elle bénéficie d’un terreau préexistan­t, soit des théories qui étaient en circulatio­n avant le Covid-19. Aux yeux des complotist­es, nous étions déjà dans un univers saturé de mensonges. Cette crise est l’occasion pour eux d’actualiser leurs théories et de proclamer «je vous l’avais dit». Ils s’appuient sur une théorie, y greffent un autre argument et tissent un lien entre les deux croyances qui se retrouvent alors mutuelleme­nt renforcées. Par exemple: le déploiemen­t de la 5G et la proliférat­ion du virus. La production et la propagatio­n d’une fake news reposent sur plusieurs logiques: l’adaptation d’un article de presse, l’humour, l’actualisat­ion d’une théorie complotist­e, les personnali­tés comme Donald Trump qui la relaient auprès d’une large audience, l’instrument­alisation économique pour que les internaute­s réagissent ou cliquent sur un lien, ou encore des opérations de relation publique officieuse­s des grandes puissances cherchant à façonner la perception de l’opinion publique en ce qui concerne les responsabi­lités liées au Covid-19.

Comment prévenir la proliférat­ion de fausses informatio­ns et faire évoluer la réflexion des personnes convaincue­s par les théories conspirati­onnistes? Ce qui est plus difficile à appréhende­r, ce sont toutes les informatio­ns transmises par messages privés ou dans des groupes WhatsApp. Ces plateforme­s valorisent une proximité sociale qui joue un rôle important dans l’adhésion à une théorie. Etre informé par un proche, lui-même informé par un ami qui connaît quelqu’un qui travaille dans le monde médical ou politique, favorise l’impression de véracité. Pour les théories partagées publiqueme­nt, il existe de nombreux sites qui proposent des vérificati­ons approfondi­es. Cela pose cependant la question de savoir qui sont les acteurs légitimes du fact-checking? En France, la semaine dernière, l’Etat a voulu mettre en place sa propre plateforme et les médias se sont révoltés, car ce n’est pas son rôle et cela aurait généré encore plus de défiance. Les nouvelles fake news exploitent toujours les mêmes craintes ancestrale­s et relèvent souvent du bricolage. En revanche, ce qui est plus singulier avec la crise, c’est le nombre de personnes qui les assument face caméra. Elles ne sont plus anonymes. ■

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