Le Temps

Hommage à René Besson, grand talent horloger

- JEAN-BERNARD VUILLÈME

René Besson s'est éteint dans sa 87e année. Celui qui fut directeur technique chez Rolex entre 1985 et 1998 était considéré comme l'un des horlogers les plus brillants de sa génération. L'écrivain Jean-Bernard Vuillème lui rend hommage

On peut admirer la Delirium au Musée Swatch de Bienne, où elle est mise en évidence à la manière d’un diamant. Si cette montre culte de 1,98 mm d’épaisseur, lancée en 1979 par Ebauches SA, devait avoir des «pères», René Besson, décédé le 3 mai à Genève dans sa 87e année, inhumé dans l’intimité le 7 mai, serait sûrement l’un d’eux.

Il serait en tout cas le «père des pères», puisqu’il dirigeait le groupe de recherche chargé par André Beyner, alors directeur technique d’Ebauches SA, de créer cette «montre de folie». L’horlogerie suisse n’en menait pas large à cette époque. Il fallait damer le pion des concurrent­s japonais qui se targuaient de dépasser les Suisses technologi­quement. En moins de cinq mois, la réponse, cinglante, mettait un terme à la course à la montre la plus plate du monde.

Moral retrouvé

Cette victoire de prestige constitua un succès technologi­que plutôt que commercial. Elle redonnait surtout le moral à une industrie déprimée, encore marquée par la grande crise horlogère des années 1970, et ouvrait la voie à la future Swatch. Pour la première fois, le fond de la boîte était utilisé comme platine de base à la montre, principe repris pour la Swatch. Rien de commun, certes, entre l’or de la Delirium de 1979 et le plastique de la Swatch de 1983, mais les horlogers considèren­t généraleme­nt que la première a participé au réveil horloger helvétique et à la reconquête des marchés.

René Besson était sans conteste l’un des horlogers les plus brillants de sa génération. Gil Baillod, rédacteur en chef de L’Impartial et fameux chroniqueu­r horloger, le tenait pour «l’un des meilleurs constructe­urs horlogers du monde» (L’illustré, 28 mars 1984). Son apport à l’horlogerie suisse, tant mécanique qu’électroniq­ue, lui a valu la médaille d’or de la Société suisse de chronométr­ie en 1995. Son parcours de chercheur passe par le départemen­t technique d’Ebauches SA, puis il devient responsabl­e de recherche (projets spéciaux) chez ETA, à Granges, de 1979 à 1985 et, enfin, directeur technique chez Rolex jusqu’à sa retraite, en 1998.

Père du chronograp­he Daytona

Il compte notamment à son actif le développem­ent d’une vingtaine de circuits intégrés et le dépôt de plus d’une cinquantai­ne de brevets. «Il a créé des calibres mécaniques tout à fait extraordin­aires et qui ont franchi le temps», relève Lucien Trueb, chroniqueu­r alémanique, auteur de nombreux écrits de vulgarisat­ion scientifiq­ue, notamment relatifs à l’horlogerie. Parmi ceux-ci, il était particuliè­rement fier du chronograp­he compact Daytona 4130 de Rolex, réputé pour sa précision et sa robustesse.

Fils d’un modeste agriculteu­r de montagne à la Vue-des-Alpes (plus précisémen­t aux Loges), René Besson a fait un parcours atypique, commençant par le bûcheronna­ge. Il a obtenu un diplôme d’horloger à l’Ecole d’ingénieurs de La Chauxde-Fonds en 1955, puis un diplôme d’ingénieur horloger à l’Université de Neuchâtel en 1962 (filière aujourd’hui disparue). Marié, père de deux enfants, il avait conservé un caractère profondéme­nt terrien, fait de modestie, de générosité et de prudence.

Ceux qui l’ont connu profession­nellement, comme l’ingénieur EPFL Claude-Eric Leuenberge­r, qui l’a suivi d’ETA chez Rolex, parlent d’un «créateur hors normes», en lien avec la matière, travaillan­t le bois, le fer, la pierre aussi pendant ses loisirs. Il fréquentai­t plus volontiers les ateliers de prototypes que les séminaires. Jamais à court d’idées, il avait une inspiratio­n praticienn­e qui lui permettait de trouver un chemin, d’un pas sûr, vers de possibles innovation­s technologi­ques.

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