Réinventer un sport-spectacle sans public
Sauf arrivée rapide d’un traitement ou d’un vaccin efficace, ce qui est espéré mais néanmoins douteux, la crise mondiale sanitaire et économique risque de ne pas seulement durer quelques mois mais bien plusieurs années, le temps nécessaire selon les experts pour qu’une immunité collective se développe.
Bien sûr, les gestes barrières, les masques, les tests, l’isolement des cas positifs et des plus vulnérables peuvent laisser espérer l’organisation prochaine de très grands événements sportifs, mais pas dans leur format antérieur de mobilité, de logistique et surtout d’accueil des foules. Les décideurs politiques et les responsables d’événements sont réticents à courir le moindre risque sanitaire, même très minime, en organisant ces grandes manifestations et plus encore à en assumer les responsabilités civiles et pénales.
La réponse des grands organisateurs est pour l’instant l’annulation ou le report («on pourra le faire demain»). Mais les acteurs ne pourront tenir une telle position sur une aussi longue période. On a repoussé le problème. Maintenant, il va falloir l’affronter. Comment faire vivre ce type de manifestations au cours des trois prochaines années avec le Covid-19? Comment redonner confiance aux acteurs et les inciter à ce qu’ils jouent, investissent, regardent et divertissent différemment? Il est urgent de repenser dès maintenant le modèle organisationnel et économique de ces événements.
Le règne du huis clos
Les situations sont différentes selon les types d’événements: ceux à participation de masse (marathon, grandes courses populaires, triathlon/trail…) et les compétitions de sport-spectacle avec une communion du public dans les stades. Les premiers sont très vulnérables car impossibles à organiser au regard des formats et des volumes des années antérieures. Les modèles organisationnels (course à départ échelonné sur plusieurs jours ou semaines ou mois; nouveaux formats personnalisés à distance) et économiques (moins de revenus d’inscription, de sponsoring local et de soutien public) sont à réajuster en conséquence.
Pour les seconds, il convient de distinguer ceux majoritairement financés par les droits médias (Jeux olympiques, grands championnats de football, coupes européennes de football, ligues professionnelles nord-américaines) et ceux qui n’en perçoivent pas ou très peu. Pour beaucoup, la diffusion reste aussi un coût.
Trois axes de propositions peuvent être envisagés: organiser dès à présent à huis clos ces événements malgré la réticence de certains, imaginer des solutions pour faire vivre aux fans des expériences virtuelles en direct, et repenser une gouvernance partenariale plus solidaire.
Les huis clos, qui étaient une punition exceptionnelle, vont devenir la règle avec, certes, des adaptations en fonction des situations des pays et des villes. L’un des premiers, PSG-Dortmund le 11 mars, a été organisé dans l’urgence. Désormais, l’utilisation des technologies va accélérer l’avènement de communautés de supporters à distance. De nouvelles formes de spectacles sonores et visuels sont à inventer pour faire vivre une expérience inédite à la fois aux sportifs en présentiel et au public à distance.
La baisse inéluctable des revenus des organisateurs et de tous les sportifs professionnels imposera une gouvernance partenariale plus solidaire pour aider les plus vulnérables (joueurs, entraîneurs et organisateurs plus modestes et moins médiatisés). Des événements et des sports professionnels avec peu ou pas de droits TV et dont le modèle économique repose essentiellement sur leur offre relationnelle (relations publiques, places VIP et billetterie) auront du mal à survivre. Certains devront même peut-être se «ré-amateuriser» pour quelque temps.
De nouveaux acteurs prédateurs
Dans ce contexte de grande incertitude et peut-être de chaos, opportunismes et solidarités commencent à poindre. Certains prédateurs commerciaux (entrepreneurs et nouveaux médias) sont à l’affût pour déstabiliser le marché antérieur et les acteurs historiques de l’écosystème sportif, notamment les fédérations sportives internationales et nationales. Ils commencent à proposer les nouveaux formats du sport-spectacle Covid-19 et post-Covid-19.
Les solidarités vont être mises à rude épreuve pour chaque sport et pour chaque niveau, du club à la fédération et jusqu’au CIO. S’adapter et innover individuellement et collectivement pour redonner confiance, tel est le nouveau défi. Cependant, il n’est pas sûr que le sport-spectacle, souvent stigmatisé malgré son rôle et son impact sociétal indéniables, puisse s’en sortir seul. La société et les pouvoirs publics sont-ils prêts à le soutenir – «quoi qu’il en coûte» comme pour d’autres secteurs sinistrés – ou à laisser certains de ses pans disparaître?
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