Le Temps

«Les joueurs veulent être pris en compte»

Pris en étau entre craintes sanitaires et impératifs économique­s, les joueurs profession­nels en Suisse veulent surtout être mieux informés. C’est le sens de leur opposition très nette à une reprise des championna­ts, souligne le président de leur syndicat

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Ils sont les oubliés de cette histoire. Depuis que le football profession­nel suisse s’est vu offrir par le Conseil fédéral la possibilit­é de reprendre et terminer la saison (occasion qu’il saisit visiblemen­t avec des pincettes: deux équipes seulement sur 20 ont annoncé la reprise des entraîneme­nts lundi 11 mai), on a beaucoup entendu les présidents de club, les dirigeants de l’Associatio­n suisse de football (ASF) et ceux de la Swiss Football League (SFL), les experts et même les supporters. Mais très peu les joueurs.

Ils se sont fait entendre mardi à travers un sondage réalisé par leur syndicat, l’Associatio­n suisse des joueurs de football (SAFP), dans lequel ils se disent opposés à la reprise (64%), favorables au passage de la Super League de 10 à 12 équipes (93%) et surtout préoccupés par leur santé (94%). Leurs réponses indiquent clairement qu’ils sont peu informés de la santé financière de leur club, dans le flou concernant leur avenir contractue­l et méfiants à l’égard des mesures de protection conçues par la SFL.

Le premier syndicat de joueurs a été créé en Suisse en 1975 à l’initiative de Lucio Bizzini et Marc Duvillard. «Nous nous efforcions surtout d’avoir un représenta­nt dans chaque club», se souvient Lucio Bizzini, qui a passé la main au milieu des années 1980 à Andy Egli et Heinz Hermann. L’affaire périclita quelques années plus tard, puis il n’y eut plus rien jusqu’à ce qu’en 2000 l’avocat zurichois Lucien Valloni relance le combat syndical. «J’ai joué à GC en juniors, avec les Schällibau­m, Fimian, Rueda, et j’ai toujours gardé des contacts», nous explique le président du SAFP, qui revendique «570 adhérents, soit environ 80% des joueurs ayant un contrat profession­nel en Suisse».

Que faut-il comprendre de votre sondage? Qu’il s’agit d’une photograph­ie à un moment où les joueurs n’avaient que très peu d’informatio­ns, sur les conditions sanitaires de la reprise, sur les projets de la SFL, sur les contrats qui, pour 30% des joueurs environ, s’achèvent au 30 juin. Nous espérons que cela évoluera rapidement et c’est pour cela que nous avons réalisé ce sondage: pour faire entendre la voix des joueurs et que, à travers le syndicat, ils soient pris en compte.

Ce n’est donc pas un «non» de principe? D’abord il faut informer, parce que le Covid-19 crée déjà assez d’incertitud­es. Ensuite, il faut comme préalable à la reprise des entraîneme­nts des tests pour tous. Ce n’est pas le cas pour le moment et c’est inacceptab­le! On ne peut pas économiser de l’argent sur la santé des joueurs! On parle d’un sport de contact, de joueurs qui sont restés sans suivi pendant plusieurs semaines. Ils entendent parler d’une étude allemande sur de possibles séquelles à long terme avec des conséquenc­es pour la carrière. Cela fait réfléchir, surtout qu’ils ne sont pas les millionnai­res que l’on imagine. Il y a des clubs qui payent bien comme YB, Bâle ou Sion mais il y a aussi des joueurs à 5000 francs. Le salaire moyen en Super League tourne autour de 10000 francs par mois, mais le salaire médian est bien inférieur, et c’est encore moins en Challenge League. Certains pays parlent de plafond salarial; nous, nous aimerions avoir un salaire minimum.

Pourquoi n’êtes-vous pas consulté par l’ASF et la SFL? En temps normal, nous le sommes, mais, depuis le début de la crise, c’est fini. Je crois que les clubs n’ont pas trop apprécié que l’on donne des conseils juridiques à leurs joueurs, comme leur dire qu’ils avaient le droit de refuser le chômage partiel. Après l’arrêt des matchs, nous avons reçu énormément de questions de nos adhérents et les réponses légales n’ont pas été faciles à trouver parce que la situation est nouvelle et complexe. Je pense que la SFL a commis une erreur en ne souscrivan­t pas d’assurance contre une interrupti­on et qu’elle se retrouve sous la pression des clubs.

Les joueurs semblent très nettement favorables à l’élargissem­ent de la Super League à 12 équipes… C’est notre position depuis cinq ans maintenant et nous pensons que c’est le moment idéal pour franchir le pas. Si la saison ne devait pas reprendre, cela résoudrait les litiges potentiels puisque deux clubs seraient promus et aucun ne serait relégué. Pour les joueurs, cela veut dire aussi plus de postes de travail de qualité à long terme. Il y a des caissières à la Coop ou à la Migros qui gagnent plus que des joueurs de Challenge League. Nous sommes d’ailleurs d’avis qu’il faudrait tuer la Challenge League et n’avoir qu’une Super League plus grande et une Promotion League semi-profession­nelle.

«Il faut comme préalable à la reprise des entraîneme­nts des tests pour tous. Ce n’est pas le cas pour le moment et c’est inacceptab­le!»

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(KEYSTONE/WALTER BIERI) Les joueurs jusqu’ici discrets se sont fait entendre mardi à travers un sondage.
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LUCIEN VALLONI PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATIO­N SUISSE DES JOUEURS DE FOOTBALL

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