YÀNNIS PALAVOS OU L’ART DE LA CHUTE
Dans «Blague», l’écrivain grec se révèle un maître de la nouvelle, à découvrir séance tenante
Il y a des auteurs qu’on voudrait connaître. Yànnis Palavos est de ceux-là, encore une trouvaille des Editions Quidam et du traducteur Michel Volkovitch. Dans Blague, le Grec montre un humour si léger, un regard d’une telle justesse, dans des registres si variés – du fantastique au tragique –, et un sens si aigu des émotions les moins avouables que la traversée de ces 17 brèves nouvelles est une succession de bonheurs de lecture différents. D’entrée, à la première page,
Password dit en 21 lignes la fragilité de la vie, sans une once de pathos, comme une gentille blague, justement. La Grèce de Palavos n’est pas celle des îles ou des grandes villes. C’est un pays d’élevages de volailles et de porcs, de vergers industriels, de chômage, de débrouille. Lacs, forêts, à l’horizon, le mont Olympe. Ce sont des scènes de tous les jours, transcendées par un art éblouissant de la chute.
Parfois, une trame tout à fait anodine s’envole dans le fantastique. L’allusion faite en passant à Buzzati n’est pas fortuite. Une simple histoire de colocation, une plaisanterie d’étudiant s’ouvre sur un abîme: le pouvoir des mots l’emporte sur la banalité des faits. Y a-t-il une vie après la mort? Un jeune accidenté en fait l’expérience, qui se trouve réincarné, si on peut dire, en agrafeuse. Mais la vie de matériel de bureau ressemble à celle des humains, et Thànos y rencontre toujours la même difficulté à nouer des relations et à écrire son roman.
PESSIMISME JAMAIS CYNIQUE
D’autres nouvelles parlent du quotidien le plus banal pour déboucher sur l’horreur, mais à peine esquissée: meurtres cachés, chiens sauvages, abus d’enfant. Yànnis Palavos les suggère avec un art raffiné de l’ellipse, du dialogue, du langage parlé, des confidences recueillies. Son pessimisme n’est jamais cynique et le regard porté sur les faiblesses humaines, toujours tendre.
Certains récits semblent avoir un fondement autobiographique: souvenirs d’enfance, travaux alimentaires, carrières sans avenir, vie culturelle en panne. C’est la Grèce contemporaine, celle de Christos Ikonomòu (Ça va aller, tu vas voir,
Quidam, 2016), le fantastique en plus. Et parfois, la chute se révèle d’un optimisme inhabituel. Un homme arrivé, un père de famille responsable, ne parvient pas, de tout un été, à surmonter la perte d’un objet absurde, un témoin de son adolescence, une blessure inavouable, ridicule, qui gâche ses vacances et manque ruiner sa vie conjugale. Mais il y a parfois, dans la noirceur grotesque de la vie, des moments de rédemption et de pure poésie.