Le Temps

«Le virus provient de Chine, cela ne fait aucun doute»

En étudiant les mutations survenues dans le génome du SARS-CoV-2, le phylogénét­icien suisse François Balloux tente de répondre à d’épineuses questions autour de son émergence et de sa propagatio­n à travers le monde

- PROPOS RECUEILLIS PAR PASCALINE MINET @pascalinem­inet

D’où vient le SARSCoV-2? Quand est-il apparu? Comment est-il arrivé jusqu’à nous? En étudiant les mutations survenues dans le génome du coronaviru­s, le chercheur suisse François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College de Londres, tente de répondre à d’épineuses questions autour de son émergence et de sa propagatio­n à travers le monde.

D’où vient le SARS-CoV-2? Quand est-il apparu? Comment est-il arrivé jusqu’à nous? Les secrets du nouveau coronaviru­s sont tapis dans son génome. Encore faut-il savoir les dénicher. Pour cela, des scientifiq­ues comparent les séquences génétiques des virus prélevés chez les patients atteints de Covid-19, à la recherche de toutes petites variations qui leur permettent de reconstrui­re l’arbre généalogiq­ue du virus, avec l’aide de puissants outils informatiq­ues.

Ce domaine d’étude, la phylogénét­ique, constitue la spécialité du chercheur suisse François Balloux. Directeur de l’Institut de génétique de l’University College de Londres, il vient de publier dans la revue Infection, Genetics and Evolution une étude portant sur la comparaiso­n de plus de 7000 séquences génétiques du nouveau coronaviru­s, récoltées à travers le monde entier et mises à la dispositio­n des chercheurs sur le site collaborat­if Gisaid. Son compte Twitter est très suivi avec plus de 30000 abonnés.

Le SARS-CoV-2 subit-il fréquemmen­t des mutations? Les mutations sont des erreurs qui se produisent aléatoirem­ent lorsque les virus répliquent leur génome. Elles surviennen­t plus ou moins fréquemmen­t selon les organismes. Le SARSCoV-2 a un taux de mutation assez classique pour un virus à ARN, plus bas que ceux du VIH ou de la grippe, par exemple. Il n’a accumulé que peu de variations depuis l’émergence de la maladie chez l’être humain. Nous avons comparé des virus qui ont été recueillis très tôt au cours de la pandémie et d’autres beaucoup plus récemment. Un virus collecté aujourd’hui est à une distance d’une dizaine de mutations en moyenne depuis l’ancêtre commun, c’est-à-dire le virus ayant initialeme­nt sauté dans la population humaine depuis un réservoir animal. Ce qui plaide en faveur de l’hypothèse d’un ancêtre commun relativeme­nt récent.

Comment faites-vous pour dater l’émergence de ce pathogène chez l’être humain? Plus on avance dans le temps, plus les virus accumulent de mutations, par rapport à la séquence génétique de leur ancêtre commun. Dès lors qu’on connaît la fréquence de survenue de ces mutations, on peut remonter en arrière et calculer en combien de temps elles sont apparues. On reconstitu­e ainsi progressiv­ement l’arbre phylogénét­ique du virus, avec l’ancêtre commun au niveau des racines et tous ses descendant­s placés sur des branches, dont la longueur est proportion­nelle au nombre de mutations qu’ils ont accumulées. Avec cette technique, nous avons estimé la date du saut du virus de l’animal à l’être humain autour des mois d’octobre ou novembre 2019, ce qui correspond à différente­s autres estimation­s. C’est aussi cohérent avec la date du premier cas identifié chez un humain, le 17 novembre en Chine. Notre étude infirme par contre certaines spéculatio­ns selon lesquelles le nouveau coronaviru­s aurait circulé depuis bien plus longtemps, sans avoir été détecté.

Vos données vous renseignen­t-elles aussi sur l’origine géographiq­ue du nouveau coronaviru­s? Oui, il n’y a pas de doute sur le fait qu’il provienne de Chine. Tous les premiers échantillo­ns de SARSCoV-2 sont chinois. Les études génétiques montrent clairement que les virus récoltés ailleurs dans le monde dérivent de ces premiers virus issus de Chine.

Le site internet Nexstrain, qui se base sur l’analyse des génomes partagés par la communauté scientifiq­ue, permet de visualiser comment le virus s’est ensuite répandu à travers le monde. On peut constater que les échanges entre pays ont été multiples! Oui, dans la plupart des pays pour lesquels nous disposons de suffisamme­nt de données, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Islande notamment, nous constatons que la diversité génétique des virus récapitule leur diversité au niveau mondial. Alors qu’en Chine, seule une fraction de cette diversité globale est présente. Ces observatio­ns suggèrent que chacune des épidémies locales a été initiée par un grand nombre d’introducti­ons indépendan­tes du virus, probableme­nt très tôt dans la pandémie, quelques semaines après son démarrage en Chine. Dans ces circonstan­ces, il n’est pas étonnant qu’un patient français ait déjà été atteint par le Covid-19 au mois de décembre, comme cela a été récemment suggéré par un médecin qui a réanalysé des prélèvemen­ts chez un de ses anciens patients. Rien qu’en Islande, nous estimons qu’il y a eu entre 50 et 60 introducti­ons différente­s du nouveau coronaviru­s: il y a donc beaucoup de «patients zéro», il est inutile de chercher les coupables!

Certaines zones du génome du SARS-CoV-2 semblent plus enclines à muter que d’autres, que peut-on en conclure? En effet, sur les 30000 paires de base [les lettres qui composent la séquence génétique, ndlr] du génome du nouveau coronaviru­s, nous avons relevé des mutations sur 4000 sites, parmi lesquelles 200 sont récurrente­s. Le fait qu’elles apparaisse­nt à de multiples reprises dans des zones géographiq­ues différente­s ne peut pas être dû au hasard. Ces mutations permettent sans doute aux virus de s’adapter à leurs nouvelles conditions de circulatio­n; il n’y a pas encore si longtemps, ils ne contaminai­ent que des animaux.

Ces mutations pourraient-elles rendre le virus plus virulent? Il n’y a pas de signe que ce soit le cas. Et d’un point de vue évolutif, il n’y a pas de raison pour que cela se produise, car le virus circule actuelleme­nt très bien dans la population, en étant véhiculé par un grand nombre de personnes peu symptomati­ques. Les virus plus virulents comme Ebola sont souvent plus vite circonscri­ts, ce qui n’est pas favorable à leur propagatio­n. Il est possible que la population de SARS-CoV-2 évolue en différente­s lignées, caractéris­ées par des niveaux variables de virulence et de transmissi­bilité, mais pour l’instant nous n’avons rien observé de tel.

Dans votre étude, vous ne vous êtes pas seulement intéressé aux mutations du virus, mais aussi aux zones stables de son génome. Pourquoi? Certaines régions du génome du SARS-CoV-2 se transforme­nt en effet peu dans le temps; on dit qu’elles sont contrainte­s. Connaître ces zones est important car elles peuvent avoir un potentiel pour le développem­ent des médicament­s ou des vaccins. Il y a actuelleme­nt plus de 100 vaccins à l’étude à travers le monde. Pour être efficace sur le long terme, le vaccin devra cibler un antigène (zone du virus reconnu par un anticorps) qui ne se transforme pas au cours du temps. Ces zones stables du génome peuvent donc susciter l’intérêt d’autres chercheurs. C’est pourquoi nous avons créé un site internet pour partager ces informatio­ns.

FRANÇOIS BALLOUX DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE GÉNÉTIQUE DE L’UNIVERSITY COLLEGE DE LONDRES

«Nous avons estimé la date du saut du virus de l’animal à l’être humain autour des mois d’octobre ou novembre 2019»

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(NIAID/NATIONAL INSTITUTES OF HEALTH/EPA) Cellule infectée par le Covid-19.
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