Le Temps

Politique européenne: prochaine échéance dans 140 jours

- FRANÇOIS NORDMANN

Le 9 mai dernier, le drapeau européen flottait sur quelques bâtiments publics à Berne, Lucerne et Genève notamment, pour marquer la Journée de l'Europe, qui coïncidait avec le 70e anniversai­re de la Déclaratio­n Schuman. Le même jour, les Schaffhaus­er Nachrichte­n ont publié une interview du conseiller fédéral Ignazio Cassis. A plusieurs reprises, le chef du Départemen­t des affaires étrangères y communique sa conviction que le monde «d'après» la pandémie ne ressembler­a pas au monde actuel, qu'il faudra trouver de nouveaux repères, de nouveaux équilibres. A propos de la politique européenne, il confirme que l'accord institutio­nnel – qui reste un objectif central de la Suisse – est relégué dans l'ordre des priorités: il s'agit d'abord d'assurer le retour à la «nouvelle» normalité. «Quand la crise sera surmontée, il faudra dresser un état des lieux, faire le point avec l'Union européenne», déclare-t-il. «J'ai commandé à mes diplomates un rapport consacré aux effets de la crise sur notre perception des relations entre la Suisse et l'Union européenne, pour la fin de ce mois: je l'attends avec impatience.» On comprend mieux comment fonctionne la diplomatie suisse: aux collaborat­eurs de nourrir la réflexion de l'homme politique qui est à leur tête. Pourtant, on aurait pu attendre d'un politicien qu'il puisse formuler de lui-même quelques observatio­ns, par exemple rappeler les élans de solidarité entre l'UE et la Suisse constatés ces dernières semaines, sans s'abriter derrière son administra­tion. Certes, il est légitime de comprendre comment notre partenaire européen réagit aux conséquenc­es sociales, économique­s et politiques de la crise que nous venons de traverser. Mais pour autant, les données fondamenta­les de notre relation à l'Union européenne n'ont pas changé. L'accord institutio­nnel reste la clé de tout développem­ent futur. Il possède son calendrier propre.

Le ministre des Affaires étrangères doit prendre sa part de la reconstruc­tion du tissu économique et social en Suisse, c'est évident, mais ses fonctions le portent aussi à devoir regarder par-dessus la frontière. Le Conseil fédéral a fixé au 27 septembre 2020 la date du scrutin populaire sur l'initiative «de limitation» de l'UDC, c'est une échéance précise, proche et capitale. Le Conseil fédéral a officielle­ment lancé sa campagne le 11 février 2020: le conseiller fédéral Cassis avait donc une belle occasion de rappeler la position du gouverneme­nt, opposé à cette initiative qui empoisonne­rait durablemen­t nos rapports avec l'UE si elle venait à passer. Or il se comporte en arbitre: la crise, dit-il, n'a fait que renforcer les positions des uns et des autres, elle ne va pas influencer le cours du débat dans un sens ou dans l'autre. «Ceux qui sont pour la libre circulatio­n tirent argument de la situation, et inversemen­t.» C'est la zen attitude: mais ce n'est pas ainsi que l'on gagne des batailles. Et les prémisses de ce raisonneme­nt sont contestabl­es.

L’augmentati­on du chômage en Suisse, due à la crise de la pandémie, donne un nouvel éclairage à ce scrutin. Les partisans de l'initiative l'exploitent. Que répondent ses adversaire­s? On aurait apprécié que le conseiller fédéral Cassis dise à son tour, comme le Conseil fédéral lui-même, que si l'initiative était acceptée, les entreprise­s suisses perdraient leur accès direct à leur principal marché, ce qui menacerait les emplois et la reprise économique (et donc provoquera­it davantage de chômage au lieu de le résorber). A qualificat­ion égale, la priorité donnée aux travailleu­rs se trouvant en Suisse lors de la recherche d'emploi constitue déjà une protection. Le DFAE aurait tort de reproduire à l'égard de ce scrutin la nonchalant­e indifféren­ce qui fut la sienne avant le vote du 14 février 2014 sur l'immigratio­n de masse: la politique étrangère est en première ligne. Toute la politique européenne de la Suisse en dépend. Il reste à espérer que «ses» diplomates sauront souffler de meilleures réponses à leur chef à l'avenir, et qu'ils l'inciteront à intervenir plus fermement et plus directemen­t dans la campagne en cours.

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