Consensuel et réaliste, un déconfinement très breton
Préservée sur le plan sanitaire après deux mois de confinement réussi, la Bretagne rêve d’un déverrouillage français différencié selon les régions. En n’oubliant pas que cette épidémie, comme tant d’autres dans son histoire, finira bien par lâcher prise
La poupée gonflable a fait rire l’Armorique. Dernier avatar de la colère bretonne contre la fermeture des plages durant le confinement, la vidéo de la fausse vacancière en plastique installée sur le sable, sous son parasol, est devenue virale à l’aube du déconfinement. Un motard de la gendarmerie s’avance. Il piétine la poupée pour se venger du mauvais tour. En Bretagne, résilience rime aujourd’hui avec humour après avoir, dans le passé, surtout rimé avec prières, dévotion et chapelets: «On oublie que cette région a connu, entre 1348 et 1660, des épidémies de peste presque tous les trente ans, confirme l’historien bretonnant Bernez Rouz. Boucler un village infecté, le faire garder par les soldats, voir les aristocrates trouver refuge dans leurs fermes éloignées des bourgs, attendre que cela se passe, puis édifier une chapelle et commémorer la disparition du virus par un «pardon» annuel (une procession). Ces rites sont dans notre ADN. Nos contes, cantiques et chansons en regorgent.»
Une région toujours exposée
La péninsule n’est pas pour rien la fenêtre atlantique de la France. Marins, armateurs, passagers, militaires embarqués y ont, de tout temps, transporté les virus. «Cette région a toujours été exposée aux tourments du monde, complète l’historien Michel Pierre, auteur de Bretagne. Les sillons de la mémoire. A Brest, l’hôpital militaire est le pilier de la caserne maritime. Se cloîtrer, puis commencer à réapprivoiser la vie, comme la France déconfinée est en train de l’apprendre ce 11 mai, est une alternance presque naturelle que l’ancien maire socialiste de Quimper Bernard Poignant juge de bon augure, dans l’Hexagone en colère de ce printemps 2020: «Politiquement, ce déconfinement pose une question à laquelle l’exemple breton peut apporter une réponse: comment s’en sortir ensemble? Ici, quel que soit le bord politique des élus, sauf ceux des extrêmes, l’habitude est le front commun à Paris. C’est ce pragmatisme qui peut sortir la France du piège sanitaire.»
Le déconfinement scolaire, économique, administratif, nourrit quand même les interrogations. Depuis plusieurs jours, les spécificités de cette région d’agriculture, de pêche, de petites et moyennes entreprises et d’habitats épars meublent les conversations devant les boulangeries et les supermarchés. L’ancien ministre Nicolas Hulot nous répond depuis sa résidence de Saint-Lunaire, vue panoramique sur la mer: «Le réalisme à l’heure où l’on déverrouille le pays, c’est de regarder les choses en face, comme la promiscuité. En Ile-de-France, on voit bien que la grande densité de population a contribué à propager le virus. Profitons-en aussi pour aborder d’autres aspects. Est-ce que la pollution atmosphérique, évidemment réduite ici, a joué un rôle dans l’épidémie?»
«Pour tous ces gens, le déconfinement est une nouvelle étape, pas un changement radical»
BERNARD POIGNANT, EX-MAIRE DE QUIMPER
Coup d’oeil alentour à Quimper, où la vie commerçante reprend ses droits, en ce matin du lundi 11 mai. Deux mères de famille traversent la passerelle qui franchit l’Odet – la cathédrale Saint-Corentin veille au loin. Elles ont hésité à confier leurs trois enfants, masques fixés sur le bas du visage, à leur école élémentaire: «On se déconfine mieux quand on nous rassure. Quand on voit le métro parisien bondé ce lundi, avec tous les risques sanitaires encourus, on se sent protégés. Ici, même dans les villes, les écoles ont assez d’espace pour réaménager leurs classes et leurs locaux.»
Direction Quiberon. Les bourrasques côtières se sont transformées en tempête durant la nuit. Les maisons des vacanciers, posées comme des dominos dans les dunes, disparaissent dans les arbres affolés. Bernard Poignant, l’exmaire de Quimper, nous écoute raconter notre surprise de n’avoir vu presque personne, pour ce dernier week-end de confinement, se risquer près des rochers.
«J’ai des scrupules à le dire, mais la discipline que vous constatez ici, en Bretagne, est peut-être le fruit d’une confiance entre les élus et leurs administrés qui fait défaut dans d’autres régions françaises. Autre piste de réflexion: le maillage entrepreneurial, surtout dans le domaine agroalimentaire. Les biscuiteries, les charcuteries, les pêcheries de 200 à 400 employés sont nombreuses. Or elles n’ont pas arrêté de travailler depuis le 17 mars. Pour tous ces gens, le déconfinement est une nouvelle étape, pas un changement radical. La Bretagne est restée active pour nourrir le pays. Débats et polémiques y ont moins prospéré. On s’est senti partie prenante de la résistance.»
«Recréer le lien social»
Hubert Coudurier est un pilier du Télégramme, le quotidien régional qui appartient à sa famille. Correspondant du journal à Paris, il cible, depuis son terroir breton, les erreurs à ne pas commettre pour réussir le déconfinement: «Il faut bien choisir ses exemples. Ne pas se tromper dans les messages qu’on adresse aux Français. Lorsque Emmanuel Macron est venu le 22 avril dans le Finistère rendre hommage à la région, son passage dans un supermarché a été réussi. Mais avoir choisi, pour remercier les agriculteurs, des serres de tomates hors sol n’était peut-être pas idéal pour un président que l’on dit «sans racines». Dans cette période tourmentée, filmée par les chaînes d’info, la moindre image ratée peut tout gâcher. Le déconfinement doit être une mécanique de précision.»
D’autres leçons peuvent venir de Bretagne: l’évitement du choc générationnel, des rivalités entre médecins de ville et hospitaliers, des fractures ruraux-urbains. Dans la région, l’expérience de «cabinets médicaux éphémères», qui offrent des soins Covid dans les communes, a été concluante. Les maires ont aussi pris les devants pour les personnes âgées: gare à l’isolement de ceux qui sortent déjà de deux mois passés quasi cloîtrés. «On doit recréer du lien social sans relancer l’épidémie, c’est l’enjeu», ponctue Olivier Lepick, maire de Carnac.
Reste le point qui peut énerver: le départ des «Parisiens» arrivés nombreux au début de mars. Attention, les Bretons ont la mémoire têtue. «J’ai fait la différence entre les arrivants des derniers jours, avant le confinement, et ceux qui l’ont brisé pour venir se réfugier ici. Les premiers étaient bienvenus. Les autres beaucoup moins, poursuit l’élu, ancien étudiant à Genève. La Bretagne n’a pas vocation à n’être qu’un refuge. Elle peut aussi inspirer des changements de méthode.»
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