Air-Glaciers traverse une zone de fortes turbulences
La compagnie, pionnière du sauvetage aérien, a entamé une procédure de licenciement collectif qui pourrait mener à la suppression de 60 emplois. La pandémie de Covid-19 n’y est pas étrangère, mais ce n’est pas l’unique raison
Le ciel s’est assombri d’un coup, sans prévenir, ces derniers jours sur Air-Glaciers, la compagnie pionnière du sauvetage aérien. Le nouveau conseil d’administration a annoncé mardi dernier aux collaborateurs avoir entamé une procédure de licenciement collectif (ouverte jusqu’au 20 mai inclus), qui pourrait mener à la suppression de 60 postes sur les 146 que compte la compagnie. Et cela alors même que l’arrivée, début mars, d’Air Zermatt comme actionnaire majoritaire de la société devait permettre justement à la compagnie de sauvetage du Valais romand de voir l’avenir avec sérénité.
Chute vertigineuse du chiffre d’affaires
«On ne connaît pas le chiffre exact, 60 c’est le maximum, mais nous espérons que ce sera moins», indique Philipp Perren, président à la fois d’Air-Glaciers et d’Air Zermatt. La crise du coronavirus explique en partie cette annonce. Depuis le début de la pandémie, les hélicoptères sont cloués au sol. En ce qui concerne le seul domaine du sauvetage, le chiffre d’affaires s’est écroulé de près de 90%, alors que les frais, eux, ont diminué de seulement 40 à 45% – les assurances ou la maintenance ne pouvant notamment pas être mises en stand-by. «Et cela sans parler des frais fixes! C’est cette situation exceptionnelle qui nous a poussés à agir rapidement», appuie Philipp Perren.
Mais la crise du Covid-19 n’est qu’une grosse goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien plein. Ce n’est en effet pas la première fois de son histoire, commencée en 1965 à l’initiative de trois férus des airs (Bruno Bagnoud, Hermann Geiger et Fernand Martignoni), que l’institution valaisanne rencontre des difficultés financières. L’exercice 2019 s’est soldé par une perte supérieure à 1,5 million de francs, «la plus grande perte financière de l’histoire de la compagnie», souligne Philipp Perren.
«Trop de personnel»
Coordinateur des Syndicats chrétiens du Valais et secrétaire régional de Sion, Bernard Tissières, qui accompagne le personnel dans cette procédure, indique qu’Air-Glaciers n’est pas passée très loin de la faillite l’an dernier en raison d’un «réel problème avec un créancier». Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de l’été 2015, lorsque la ville de Sion avait ouvert une procédure de mise en faillite contre la compagnie, qui n’avait pas payé des factures de kérosène à hauteur de 1 million de francs.
C’est finalement la vente du hangar qu’elle construisait sur le tarmac de l’aéroport de Sion à la société immobilière Infracore, filiale du groupe Aevis, qui a permis à Air-Glaciers de payer cette facture. «L’acquisition de ce hangar, que nous louons actuellement à la compagnie, c’est la seule intervention que nous ayons faite», précise Antoine Hubert, l’administrateur délégué d’Aevis, coupant ainsi court aux rumeurs qui voudraient que ce soit lui qui ait payé les factures de kérosène.
Antoine Hubert confirme, en revanche, ses intentions passées d’acquérir la compagnie de sauvetage. «Nous avions analysé cette possibilité. Ce qui en était ressorti, c’est qu’il y avait trop de personnel», détaille-t-il. Philipp Perren le reconnaît également aujourd’hui: «Air-Glaciers a un taux d’employés élevé, en comparaison avec les autres sociétés de la branche. Pour un chiffre d’affaires quasiment similaire, Air Zermatt compte presque deux fois moins d’employés.»
Cette situation découlerait, selon plusieurs de nos interlocuteurs, de la personnalité de l’ancien homme fort d’Air-Glaciers Bruno Bagnoud, qui a transmis le flambeau en début d’année à l’âge de 85 ans. «Il a toujours eu une gestion de patriarche. Il plaçait ses employés, qui étaient un peu ses enfants, au-dessus de tout», résume Antoine Hubert.
Une analyse partagée par Bernard Tissières. «Quand Bruno Bagnoud engageait quelqu’un, c’était pour la vie. On a également l’impression que la présence de certains collaborateurs est due à sa générosité, lui qui n’hésitait pas à engager des personnes qui se trouvaient dans des situations «particulières», qui sont malheureusement un peu improductives et dont il faut sortir les salaires», souligne le syndicaliste, qui évoque une gestion «à l’ancienne», incarnée par les cas de certains employés dont l’engagement s’est résumé à une poignée de main et qui n’ont donc toujours pas de contrat aujourd’hui.
Scénario moins brutal
L’arrivée d’Air Zermatt comme actionnaire majoritaire de la compagnie a changé la donne. Au moment de reprendre les rênes d’Air-Glaciers, Philipp Perren savait qu’il allait devoir réduire la voilure, mais «sans cette pandémie, nous aurions pu le faire de manière plus douce, sur du moyen terme, avec certainement plus de départs naturels ou à la retraite».
Pour Bernard Tissières, qui attend qu’Air-Glaciers prenne ses responsabilités et traite correctement les personnes dont elle se séparera, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il fallait licencier autant de monde. N’ayant «pas la maîtrise des chiffres», il n’a pas la réponse, mais précise qu’il y a «tout intérêt à ce que la société survive plutôt qu’elle ne parte en faillite».
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«Bruno Bagnoud a toujours eu une gestion de patriarche. Il plaçait ses employés, qui étaient un peu ses enfants, au-dessus de tout» ANTOINE HUBERT, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ D’AEVIS