Le Temps

Les grands chefs reprennent du service

- ALINE BASSIN @BassinAlin­e

Véritables PME, les restaurant­s gastronomi­ques ont aussi dû composer avec le confinemen­t. Le cuisinier Franck Giovannini a vécu sa première grande épreuve du feu, deux ans à peine après avoir repris les rênes de l’Hôtel de Ville de Crissier

Le discret cliquetis des couverts, le salto synchronis­é des cloches et des couvreplat­s, mais surtout, dès le 12 mai, la valse plus orchestrée que jamais du personnel officiant au service. La salle à manger de l’Hôtel de Ville de Crissier s’apprête à reprendre vie, deux mois après la fermeture imposée par le confinemen­t. Celles du Pont de Brent (VD), du Boccalino (NE) ou du Domaine de Châteauvie­ux (GE), autres hauts lieux gastronomi­ques romands, en font de même, en dépit du casse-tête organisati­onnel qu’inflige le coronaviru­s.

Une entreprise de 70 personnes

A l’heure des derniers préparatif­s pour respecter les normes sanitaires, tout en maintenant «la qualité et le service», c’est un Franck Giovannini impatient de retrouver ses fourneaux et ses clients qui évoque l’impact de la pandémie sur son établissem­ent. Derrière le grand chef aux trois étoiles se cache aussi un patron: son établissem­ent emploie 70 personnes, 60 dans le restaurant et 10 dans la boulangeri­e attenante.

«Pour limiter les pertes, nous avons recouru au chômage partiel (RHT), tout en complétant une partie du salaire. Au bout du compte, il reste quand même 40000 francs de charges, sans compter la compensati­on salariale, les charges marchandis­es, les loyers et les amortissem­ents incompress­ibles.» A l’instar de nombreuses autres entreprise­s, il s’est donc résolu à demander un crédit-relais.

«Cela n’a vraiment pas été des vacances», poursuit celui qui a été désigné cuisinier de l’année 2018 par le GaultMilla­u suisse. Si l’homme a vingt-cinq ans de maison à son actif, il n’a repris les commandes du relais gastronomi­que – une société anonyme dont le conseil d’administra­tion est présidé par André Kudelski – qu’il y a deux ans. Alors, «on se fait du souci, on se demande combien de temps cela va durer».

A l’instar d’autres grands cuisiniers, Franck Giovannini a préparé des repas à emporter qui se sont arrachés. «Nous n’avons pas fait de bénéfice, mais cela a aidé nos fournisseu­rs. Et surtout, on a fait plaisir à nos clients.»

A l’heure de la réouvertur­e, c’est donc le soulagemen­t qui domine chez le cuisinier aux 19 points (sur 20) au GaultMilla­u. «Nous avons tout de même de la chance, relève-t-il, car la salle à manger est déjà bien espacée. Avec des tablées limitées à quatre personnes et pour respecter la distance de deux mètres entre elles, nous aurons un maximum de 40 couverts. Avec deux services par jour, je mise sur une septantain­e de clients, à la place des 100 habituels.»

Conséquenc­e: le personnel sera réduit et devrait continuer de toucher un appoint des RHT, évalué à 30%. Il devrait par contre pouvoir oeuvrer sans protection sur le visage. Quant à la cuisine, elle est vaste: «Cela devrait jouer sans masques et, au pire, on y aura recours.»

Pas de pigeon, mais du poisson de mer

Le comporteme­nt de la clientèle représente la grande inconnue. Les réservatio­ns ont repris mercredi dernier et l’intérêt des gens est visible, signale Franck Giovannini: «On sent le besoin de se faire plaisir à nouveau et les gens n’ont pas annulé pour cet été.»

Porté au panthéon de la gastronomi­e par Frédy Girardet, le restaurant continuera en tout cas à proposer deux menus. La carte sera, elle, un peu simplifiée et il a fallu renoncer au pigeon, trop difficile à obtenir. «Le poisson de mer devrait être là pour l’ouverture», se réjouit par contre le cinquième cuisinier de l’établissem­ent, en rappelant qu’il ne commande pas plus loin que les pays limitrophe­s de la Suisse.

La confirmati­on de son orientatio­n culinaire axée sur les produits locaux représente d’ailleurs à ses yeux l’une des rares vertus du confinemen­t. Et lorsqu’on l’interroge sur le plat qu’il se réjouit de cuisiner, il répond sans l’ombre d’une hésitation: «Des asperges et des morilles, deux produits que j’apprécie beaucoup. Si on avait rouvert le 8 juin, on serait passé à côté de la saison.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland