Hypothèques: des endettés aux RHT
Sauf lorsqu’il se la crée lui-même, le marché immobilier n’a pas pour habitude de réagir rapidement aux crises. Mais celle-ci est d’une ampleur telle qu’il n’a pas pu y rester insensible. En Suisse, c’est le segment des locaux commerciaux qui est le plus chahuté. Il fait l’objet d’intenses négociations, y compris politiques, sur la question des loyers de ceux qui ont dû fermer pendant presque deux mois. Mais il est un autre segment, beaucoup moins politisé celui-ci, qui a aussi ressenti des effets de la pandémie à court terme: le marché hypothécaire. Plus de 1000 milliards de francs prêtés majoritairement par les banques, mais aussi par des assurances ou, dans une mesure moindre encore, par des caisses de pension. La conséquence la plus visible s’est fait sentir durant la seconde moitié de mars. Alors que le monde financier prenait réellement conscience de la gravité de la situation, les marchés se tendaient. Les taux hypothécaires ont suivi avec une certaine précision leurs homologues des marchés des capitaux. En d’autres termes, les banques ont ajusté leurs tarifs aux nouveaux prix auxquels elles se refinancent. Le taux fixe à 10 ans a connu un sursaut, avant de s’aplatir à nouveau. Désormais, il est, en moyenne, à 1,10%, selon les données collectées par le bureau de conseil financier VZ.
A moyen terme, les taux resteront bas. Comme de nombreux spécialistes, Roland Bron, le directeur de VZ en Suisse romande, est de cet avis. En effet, on voit mal comment les banques centrales pourraient changer de régime, sachant qu’elles sont plutôt en train d’assouplir (encore) leur politique monétaire. Personne, aujourd’hui, n’a intérêt à ce que les taux remontent. Y compris les Etats, qui financent leur plan de relance en s’endettant. Un énième facteur, plus caractéristique du marché hypothécaire suisse, laisse à penser qu’une remontée des taux n’est pas d’actualité: la concurrence entre les prêteurs. Elle était vive avant le Covid, elle va le rester pendant et après.
Cela, c’est l’image globale. Une image globale dans laquelle se dissimule une multitude de cas particuliers. Chaque emprunteur a son propre profil de risque. Et celui-ci peut avoir changé ces dernières semaines, si un travailleur a été mis au chômage partiel ou a été licencié, et a donc temporairement perdu plusieurs pour cent de son salaire habituel. Ce n’est pas marginal. Selon un pointage en avril, près d’un million d’actifs sont au régime des RHT. Et 35000 personnes de plus sont inscrites au chômage, par rapport à février. Un chiffre peut donner une idée de l’ampleur de ces effets: Credit Suisse estime à 15 milliards de francs la perte de gains des ménages suisses, pour les deux mois de confinement.
La demande, ou plus précisément la capacité de certains à demander une hypothèque, en est-elle altérée? Les professionnels disent plutôt non: ce printemps si spécial donne lieu à un peu moins de transactions. Mais aucune paralysie n’est à signaler. Le profil d’un demandeur qui serait au régime des RHT? A priori – avec toute la prudence qui s’impose – c’est un creux passager. Par ailleurs, nous rappelle Philippe Widmer, directeur de la banque Raiffeisen à Yverdon-les-Bains, les imprévus sur le niveau de salaire actuel et futur font déjà partie des paramètres qui sont évalués en temps normal. Exemple: lorsqu’un enfant arrive et que l’un des parents va réduire son taux d’activité. Il semble en tout cas que ces incertitudes ne suffisent pas à faire fléchir les prix des logements offerts. Ou alors de manière marginale, par exemple lorsqu’un vendeur est pressé et voudrait convaincre un acheteur souhaitant temporiser. Mais le calcul du Swiss Real Institute de Zurich suffit à comprendre pourquoi la demande ne s’effondrera pas: lorsque les taux sont inférieurs à 2%, vivre dans une maison est environ 25% moins cher que dans un bien locatif.
Faut-il dès lors se ruer sur une hypothèque à long terme? Oui et non, estime Roland Bron. Lui recommande à ses clients de contracter deux tiers d’une hypothèque à un taux Libor – bientôt remplacé par le Saron – qui peut être transformé en échéance fixe lorsque les taux remontent. Et pour ceux qui ont un peu de marge financière et la possibilité de suivre l’évolution des taux, tout l’emprunt peut même être réalisé en Libor. Actuellement, ce taux variable se situe à 0,8%. Sur un emprunt de 500000 francs, cela peut permettre d’économiser 1500 francs par année, par rapport à un taux fixe à 10 ans. Cette formule n’est pas forcément mise en avant, ni même mentionnée par les banques ou assurances prêteuses, car elle est moins avantageuse pour elles. Mais opter pour du Libor, c’est un conseil que donne le spécialiste de VZ depuis plusieurs années déjà à ses clients. Comme quoi le Covid n’a pas tout changé.
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