Le Temps

Les raisons du sous-financemen­t de la recherche sur les vaccins

- DOMINIQUE FORAY ÉCONOMISTE, PROFESSEUR AU COLLÈGE DU MANAGEMENT DE L’EPFL, AFFILIÉ À L’ENTERPRISE FOR SOCIETY CENTER (EPFL-IMD-UNIL) GAÉTAN DE RASSENFOSS­E ÉCONOMISTE, PROFESSEUR AU COLLÈGE DU MANAGEMENT DE L’EPFL, AFFILIÉ À L’ENTERPRISE FOR SOCIETY CENTER

L’industrie des vaccins est une industrie difficile, en particulie­r pour les firmes qui souhaitent en développer de nouveaux. Les économiste­s, tels que Michael Kremer, Prix Nobel d’économie 2019, ont beaucoup travaillé sur les difficulté­s économique­s de la recherche visant à développer de nouveaux vaccins.

Les vaccins font face à un marché très incertain. Par temps calme, c’est un produit souvent contesté par les consommate­urs. Contrairem­ent à l’adage bien connu, les gens préfèrent souvent guérir que prévenir. En outre, lorsque les consommate­urs prennent la décision de se faire vacciner, ils n’intègrent souvent pas le fait que se faire vacciner apporte non seulement un bénéfice privé (pour eux-mêmes) mais aussi un bénéfice «social» (pour la société dans son ensemble). En effet, en se faisant vacciner, un individu contribue à l’améliorati­on de la prévention générale. Mais ce bénéfice social n’est pas pris en compte par les individus. En conséquenc­e, trop peu de gens décident de se faire vacciner par rapport au niveau de vaccinatio­n qui serait souhaitabl­e d’un point de vue sociétal.

Le marché des vaccins est donc difficile mais l’activité de recherche consacrée à l’invention de nouveaux vaccins l’est tout autant. Il est bien connu que la production de connaissan­ces par la recherche-développem­ent (R&D) génère de nombreux bénéfices. Cependant, une large part de ces bénéfices ne sont pas capturés par la firme qui a investi dans la R&D. Celle-ci ne prendra donc pas en compte ces bénéfices pour la société dans ses décisions d’investisse­ment et il s’ensuit une insuffisan­ce d’investisse­ment privé en recherche. Ces deux problèmes – l’un relatif au produit lui-même, l’autre relatif à l’activité de recherche – font que la recherche de nouveaux vaccins est une activité hautement incertaine du point de vue de sa rentabilit­é financière. Comme elle est en outre coûteuse et risquée, peu d’entreprise­s privées s’y engagent.

La recherche de vaccins est donc, logiquemen­t, un cas parfait pour les aides étatiques, par exemple sous forme de subvention­s gouverneme­ntales à la R&D. Mais survient alors un autre problème. Ce qui est vrai pour le monde entier considéré dans son ensemble n’est pas vrai pour chaque pays pris isolément. Chaque gouverneme­nt cherche à maximiser l’intérêt national, non pas l’intérêt mondial. La tentation est dès lors forte de compter sur les autres nations: pourquoi dépenser de l’argent pour quelque chose que d’autres pays feront et qui, au bout du compte, nous sera accessible? On appelle cela le free riding, ou principe du passager clandestin. En conclusion, la recherche et le développem­ent de vaccins est une activité risquée et incertaine pour les entreprise­s, qui elles-mêmes ne sont pas suffisamme­nt encouragée­s par les politiques publiques.

Bien sûr, des économiste­s et des juristes ainsi que des ONG se sont penchés sur ces problèmes et ont proposé de nouveaux modèles. Ceux-ci incluent des engagement­s d’achat par une institutio­n publique ou charitable à un prix satisfaisa­nt (assurant ainsi l’existence d’un marché attractif ) ainsi que des partenaria­ts public-privé dont plusieurs sont basés à Genève. En dépit de tous ces efforts louables et fructueux, la conséquenc­e des problèmes que nous avons mentionnés est claire: l’industrie des vaccins est caractéris­ée par des capacités de R&D industriel­le faible, avec peu d’acteurs véritablem­ent engagés dans cette activité.

Le temps de la pandémie vient confirmer froidement l’analyse qui vient d’être faite. Le marché révèle soudaineme­nt des opportunit­és juteuses, des centaines de millions de consommate­urs potentiels apparaissa­nt soudain. De même, les gouverneme­nts nationaux souhaitent que leurs firmes soient les premières à développer un vaccin et ne pensent plus au free riding. L’horizon économique pour la recherche d’un vaccin bien spécifique est devenu soudaineme­nt radieux et les financemen­ts coulent désormais à flots!

Mais il a fallu attendre une tempête sans précédent pour que les fondamenta­ux de l’économie de la recherche dans ce domaine deviennent satisfaisa­nts. Or, en matière de science et de technologi­e, le temps perdu ne se rattrape pas et les efforts extraordin­aires accomplis désormais ne peuvent compenser la faiblesse des engagement­s privés ainsi que les impérities des politiques publiques qui ont caractéris­é ce secteur depuis longtemps.

Ce texte a été rédigé par un collectif d’économiste­s appartenan­t principale­ment au Collège du management de la technologi­e de l’EPFL, sous la supervisio­n des profs. Dominique Foray et Gaétan de Rassenfoss­e. Cette question et bien d’autres sont abordées dans le document «COVID-19: Insights from Innovation Economists» qui est disponible sur http:// ssrn.com/abstract=3575824. La liste de l’ensemble des auteurs est visible sur ce document.

La recherche de vaccins est un cas parfait pour les aides étatiques

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