Les actions profitent de la hausse la plus détestée de l’histoire
Les marchés financiers ne cessent de progresser malgré les effets de la pandémie sur l’économie et l’emploi. Les professionnels sont pessimistes, mais les plans de relance et la politique monétaire profitent aux investisseurs
L’économie pleure, la bourse rit. Une forte récession s’abat sur la plupart des pays et s’accompagne d’un bond du chômage. Et pourtant les indices boursiers sont proches de leurs niveaux record. L’indice Nasdaq des valeurs technologiques américaines est même en hausse de 5% depuis le début de l’année. En Suisse aussi, l’économie plonge et l’indice SMI, après une hausse de 26% depuis le 16 mars, ne présente plus, sur 2020, qu’une baisse de 8,6%. «Les actions anticipent le meilleur des mondes possible», lance Olivier Rigot, associé gérant auprès d’EMC Gestion de Fortune, à Genève. La bourse a-t-elle perdu le sens des réalités? Les cours d’aujourd’hui reflètent-ils dès maintenant les bénéfices d’un horizon trop lointain? Quelles sont les raisons de cet optimisme?
L’atout du pessimisme ambiant
«Ce rallye boursier est le plus détesté de l’histoire», lance John Plassard, spécialiste en investissements auprès de la banque Mirabaud. Pour dire cela, il s’appuie sur les petits volumes d’activités boursières et sur un excès de pessimisme au sein des professionnels. Le pourcentage de gérants baissiers est en effet très élevé.
Paradoxalement, plus les opinions négatives sont nombreuses et plus l’impact des acheteurs se fait sentir en bourse. La Bank of America Merrill Lynch souligne dans une étude que 9 investisseurs sur 10 affirment que, malgré le rebond, les actions sont dans une tendance baissière, 8 sur 10 que la reprise devrait être lente et se faire en U ou en W.
Les autorités soutiennent les marchés financiers
«L’économie ressemble à un patient polytraumatisé aux soins intensifs. Les autorités (budgétaires et monétaires) injectent une telle dose de liquidités que les marchés en deviennent euphoriques», analyse Olivier Rigot. La bourse et les marchés financiers «pourraient être, à nouveau, les plus grands bénéficiaires des mesures d’urgence monétaires et budgétaires sans précédent qui ont été mises en oeuvre», affirmait vendredi dans une note Burkhard Varnholt, directeur des investissements de Credit Suisse. La perception du risque en est modifiée. «Les investisseurs croient que tous les placements sont sûrs», confirme, dans une interview au magazine Barrons, Gregory Daco, chef économiste d’Oxford Economics. Ce dernier ajoute qu’à son avis la bourse sous-estime autant la profondeur que la durée de la crise économique.
«Même si une deuxième vague de propagation du virus devait se former, les investisseurs s’attendent à être protégés. Les banques centrales pourraient même se lancer dans des achats d’actions», anticipe John Plassard.
Ce sentiment de soutien s’appuie aussi sur l’histoire financière. Lors des précédentes crises liées à un événement particulier (attentats du 11 septembre 2001, faillite de Lehman Brothers en 2008), les marchés avaient aussi profité des plans de relance. La bourse subit aussi un effet d’entonnoir, selon Olivier
Rigot. Les investisseurs privilégient les entreprises perçues comme les gagnantes de la crise, aux Etats-Unis en particulier les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Au premier trimestre, chacune des cinq a accru son chiffre d’affaires, indique John Plassard.
Par contre, les entreprises qui représentent l’économie profonde et l’essentiel de l’emploi sont délaissées, comme les groupes de construction, l’industrie des machines, les compagnies aériennes, les banques, les assurances, les loisirs, signale Olivier Rigot. Les autorités ne tarderont pas à tirer les conséquences de ce fossé entre l’économie et les marchés financiers. La hausse boursière devrait «susciter des convoitises politiques selon la devise «ce qui frappe les pauvres profite aux riches», commente Burkhard Varnholt. ▅