Le Temps

Les actions profitent de la hausse la plus détestée de l’histoire

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

Les marchés financiers ne cessent de progresser malgré les effets de la pandémie sur l’économie et l’emploi. Les profession­nels sont pessimiste­s, mais les plans de relance et la politique monétaire profitent aux investisse­urs

L’économie pleure, la bourse rit. Une forte récession s’abat sur la plupart des pays et s’accompagne d’un bond du chômage. Et pourtant les indices boursiers sont proches de leurs niveaux record. L’indice Nasdaq des valeurs technologi­ques américaine­s est même en hausse de 5% depuis le début de l’année. En Suisse aussi, l’économie plonge et l’indice SMI, après une hausse de 26% depuis le 16 mars, ne présente plus, sur 2020, qu’une baisse de 8,6%. «Les actions anticipent le meilleur des mondes possible», lance Olivier Rigot, associé gérant auprès d’EMC Gestion de Fortune, à Genève. La bourse a-t-elle perdu le sens des réalités? Les cours d’aujourd’hui reflètent-ils dès maintenant les bénéfices d’un horizon trop lointain? Quelles sont les raisons de cet optimisme?

L’atout du pessimisme ambiant

«Ce rallye boursier est le plus détesté de l’histoire», lance John Plassard, spécialist­e en investisse­ments auprès de la banque Mirabaud. Pour dire cela, il s’appuie sur les petits volumes d’activités boursières et sur un excès de pessimisme au sein des profession­nels. Le pourcentag­e de gérants baissiers est en effet très élevé.

Paradoxale­ment, plus les opinions négatives sont nombreuses et plus l’impact des acheteurs se fait sentir en bourse. La Bank of America Merrill Lynch souligne dans une étude que 9 investisse­urs sur 10 affirment que, malgré le rebond, les actions sont dans une tendance baissière, 8 sur 10 que la reprise devrait être lente et se faire en U ou en W.

Les autorités soutiennen­t les marchés financiers

«L’économie ressemble à un patient polytrauma­tisé aux soins intensifs. Les autorités (budgétaire­s et monétaires) injectent une telle dose de liquidités que les marchés en deviennent euphorique­s», analyse Olivier Rigot. La bourse et les marchés financiers «pourraient être, à nouveau, les plus grands bénéficiai­res des mesures d’urgence monétaires et budgétaire­s sans précédent qui ont été mises en oeuvre», affirmait vendredi dans une note Burkhard Varnholt, directeur des investisse­ments de Credit Suisse. La perception du risque en est modifiée. «Les investisse­urs croient que tous les placements sont sûrs», confirme, dans une interview au magazine Barrons, Gregory Daco, chef économiste d’Oxford Economics. Ce dernier ajoute qu’à son avis la bourse sous-estime autant la profondeur que la durée de la crise économique.

«Même si une deuxième vague de propagatio­n du virus devait se former, les investisse­urs s’attendent à être protégés. Les banques centrales pourraient même se lancer dans des achats d’actions», anticipe John Plassard.

Ce sentiment de soutien s’appuie aussi sur l’histoire financière. Lors des précédente­s crises liées à un événement particulie­r (attentats du 11 septembre 2001, faillite de Lehman Brothers en 2008), les marchés avaient aussi profité des plans de relance. La bourse subit aussi un effet d’entonnoir, selon Olivier

Rigot. Les investisse­urs privilégie­nt les entreprise­s perçues comme les gagnantes de la crise, aux Etats-Unis en particulie­r les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Au premier trimestre, chacune des cinq a accru son chiffre d’affaires, indique John Plassard.

Par contre, les entreprise­s qui représente­nt l’économie profonde et l’essentiel de l’emploi sont délaissées, comme les groupes de constructi­on, l’industrie des machines, les compagnies aériennes, les banques, les assurances, les loisirs, signale Olivier Rigot. Les autorités ne tarderont pas à tirer les conséquenc­es de ce fossé entre l’économie et les marchés financiers. La hausse boursière devrait «susciter des convoitise­s politiques selon la devise «ce qui frappe les pauvres profite aux riches», commente Burkhard Varnholt. ▅

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(EUGENE HOSHIKO/AP PHOTO) Les cours d’aujourd’hui reflètent-ils dès maintenant les bénéfices d’un horizon trop lointain?

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