Le Temps

Les galeristes au temps du Covid-19

- NICOLAS GALLEY, DIRECTEUR DES ÉTUDES, EXECUTIVE MASTER IN ART MARKET STUDIES (EMAMS), UNIVERSITÉ DE ZURICH

Ventes aux enchères annulées, foires repoussées, galeries fermées, artistes confinés… Les conséquenc­es de la pandémie ont particuliè­rement affecté le marché de l’art et continuero­nt à le faire durant les mois à venir. Les échanges internatio­naux qui le caractéris­ent ont brutalemen­t été gelés et il est peu crédible d’imaginer qu’après la pause estivale tout reprendra comme avant. La foire de Bâle a été repoussée au troisième week-end de septembre et aura peut-être lieu à cette date. Il serait cependant illusoire de penser que les collection­neurs des quatre coins de la planète se rendront en nombre dans la cité rhénane. Les marchands et galeristes hésitent à planifier un voyage avant la fin de l’année.

Néanmoins, les Cassandre, qui nous annoncent la fin d’un monde et prêchent la révolution sur les réseaux sociaux, sont aussi désarmante­s que les membres les plus rétrograde­s d’un gentlemen’s club hostile au moindre changement. La crise actuelle est source d’opportunit­és et un puissant exhausteur des peurs, des faiblesses et des fulgurance­s qui entourent le commerce des oeuvres d’art et la promotion de la création artistique.

Manque de vision

Les annulation­s et les reports de ventes aux enchères et de foires internatio­nales furent les premières décisions inévitable­s liées à cette pandémie. Rapidement, les premiers palliatifs furent trouvés. Les VR, nouvel acronyme désignant les «viewing rooms», espaces virtuels reproduisa­nt un stand de foire ou une salle d’exposition, devinrent la panacée. Cependant, la faible qualité des fac-similés numériques a rapidement révélé le retard technologi­que de nombreux marchands. Certaines foires virtuelles avaient été proposées par le passé, mais sans succès. La VIP Art Fair n’eut lieu que deux fois avant d’être définitive­ment abandonnée en 2012.

La version numérique d’Art Basel Hong Kong a offert un aperçu alarmant du manque de vision d’influents galeristes. La dernière décennie fut jalonnée de prix record pour des objets d’art, mais les bénéfices engrangés n’ont pas été réinvestis pour combler les arriérés technologi­ques. Il n’est ainsi pas surprenant que les collection­neurs se soient montrés réticents à acheter en ligne, cela d’autant plus que les bourses mondiales sombraient.

«Veuillez nous contacter»

L’obstinatio­n de plusieurs galeristes qui refusèrent coûte que coûte de révéler les prix des objets qu’ils proposaien­t sur leur stand virtuel fut déconcerta­nte. Cette manière de procéder peut être justifiée pour des oeuvres exceptionn­elles. Par contre, elle est insensée pour de nombreux autres artefacts. Le monde numérique fonctionne différemme­nt des allées de foires, où le collection­neur est captif face à un vendeur usant d’un jargon, d’une gestuelle et d’un entregent affûtés.

Une rapide comparaiso­n avec le marché immobilier aurait permis à certains d’éviter un échec cuisant. Les biens immobilier­s dont le prix est «sur demande» font douter l’acquéreur potentiel se promenant sur une plateforme en ligne. L’aura digitale de certaines peintures aura conduit des connaisseu­rs à contacter le galeriste pour obtenir un prix.

Dans la grande majorité des cas, ces prix «sur demande» et les «veuillez nous contacter» auront été désastreux. La réalité virtuelle vise à créer une certaine proximité entre le vendeur et l’acquéreur qui sont «à distance». Dans un environnem­ent déstabilis­ant, où l’internaute n’a pas l’original à portée de main, un minimum de transparen­ce est requis.

Au fur et à mesure des VR et des foires numériques, certaines galeries ont enfin fini par comprendre que l’hameçonnag­e commercial par rétention d’informatio­ns ne fonctionna­it plus. Nous assistons ici à une petite révolution. Il est trop tôt pour déclarer que les listes de prix seront plus facilement accessible­s dans l’ère de l’après-Covid-19. Néanmoins, les craintes, souvent infondées, de révéler la valeur marchande d’une oeuvre seront remises en cause.

Jeunes créateurs dans l’ombre

La vente d’objets produits par des artistes représenté­s par des enseignes influentes souffre du confinemen­t. La promotion de jeunes créateurs est également fragilisée. Les foires sont souvent un lieu de découverte de nouveaux talents et la possibilit­é d’obtenir des informatio­ns sur leur démarche artistique. Plusieurs artistes ont profité du confinemen­t pour poursuivre ou lancer des recherches pertinente­s. Leurs galeristes n’ont souvent pas réagi aussi pertinemme­nt. Leur situation financière souvent précaire, d’autant plus compliquée depuis le mois de mars, paraît les avoir paralysés.

Les visites d’atelier qu’ils organisent sur les plateforme­s digitales sont souvent dédiées aux artistes les plus établis de leur programme. Le manque de moyens financiers et les angoisses qui caractéris­ent leur quotidien semblent avoir terni leur inventivit­é. Si, comme leurs prédécesse­urs, ils attendent impatiemme­nt d’être sélectionn­és pour les grandes foires internatio­nales, ils risquent fortement d’être les premières victimes de cette pandémie.

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