Les galeristes au temps du Covid-19
Ventes aux enchères annulées, foires repoussées, galeries fermées, artistes confinés… Les conséquences de la pandémie ont particulièrement affecté le marché de l’art et continueront à le faire durant les mois à venir. Les échanges internationaux qui le caractérisent ont brutalement été gelés et il est peu crédible d’imaginer qu’après la pause estivale tout reprendra comme avant. La foire de Bâle a été repoussée au troisième week-end de septembre et aura peut-être lieu à cette date. Il serait cependant illusoire de penser que les collectionneurs des quatre coins de la planète se rendront en nombre dans la cité rhénane. Les marchands et galeristes hésitent à planifier un voyage avant la fin de l’année.
Néanmoins, les Cassandre, qui nous annoncent la fin d’un monde et prêchent la révolution sur les réseaux sociaux, sont aussi désarmantes que les membres les plus rétrogrades d’un gentlemen’s club hostile au moindre changement. La crise actuelle est source d’opportunités et un puissant exhausteur des peurs, des faiblesses et des fulgurances qui entourent le commerce des oeuvres d’art et la promotion de la création artistique.
Manque de vision
Les annulations et les reports de ventes aux enchères et de foires internationales furent les premières décisions inévitables liées à cette pandémie. Rapidement, les premiers palliatifs furent trouvés. Les VR, nouvel acronyme désignant les «viewing rooms», espaces virtuels reproduisant un stand de foire ou une salle d’exposition, devinrent la panacée. Cependant, la faible qualité des fac-similés numériques a rapidement révélé le retard technologique de nombreux marchands. Certaines foires virtuelles avaient été proposées par le passé, mais sans succès. La VIP Art Fair n’eut lieu que deux fois avant d’être définitivement abandonnée en 2012.
La version numérique d’Art Basel Hong Kong a offert un aperçu alarmant du manque de vision d’influents galeristes. La dernière décennie fut jalonnée de prix record pour des objets d’art, mais les bénéfices engrangés n’ont pas été réinvestis pour combler les arriérés technologiques. Il n’est ainsi pas surprenant que les collectionneurs se soient montrés réticents à acheter en ligne, cela d’autant plus que les bourses mondiales sombraient.
«Veuillez nous contacter»
L’obstination de plusieurs galeristes qui refusèrent coûte que coûte de révéler les prix des objets qu’ils proposaient sur leur stand virtuel fut déconcertante. Cette manière de procéder peut être justifiée pour des oeuvres exceptionnelles. Par contre, elle est insensée pour de nombreux autres artefacts. Le monde numérique fonctionne différemment des allées de foires, où le collectionneur est captif face à un vendeur usant d’un jargon, d’une gestuelle et d’un entregent affûtés.
Une rapide comparaison avec le marché immobilier aurait permis à certains d’éviter un échec cuisant. Les biens immobiliers dont le prix est «sur demande» font douter l’acquéreur potentiel se promenant sur une plateforme en ligne. L’aura digitale de certaines peintures aura conduit des connaisseurs à contacter le galeriste pour obtenir un prix.
Dans la grande majorité des cas, ces prix «sur demande» et les «veuillez nous contacter» auront été désastreux. La réalité virtuelle vise à créer une certaine proximité entre le vendeur et l’acquéreur qui sont «à distance». Dans un environnement déstabilisant, où l’internaute n’a pas l’original à portée de main, un minimum de transparence est requis.
Au fur et à mesure des VR et des foires numériques, certaines galeries ont enfin fini par comprendre que l’hameçonnage commercial par rétention d’informations ne fonctionnait plus. Nous assistons ici à une petite révolution. Il est trop tôt pour déclarer que les listes de prix seront plus facilement accessibles dans l’ère de l’après-Covid-19. Néanmoins, les craintes, souvent infondées, de révéler la valeur marchande d’une oeuvre seront remises en cause.
Jeunes créateurs dans l’ombre
La vente d’objets produits par des artistes représentés par des enseignes influentes souffre du confinement. La promotion de jeunes créateurs est également fragilisée. Les foires sont souvent un lieu de découverte de nouveaux talents et la possibilité d’obtenir des informations sur leur démarche artistique. Plusieurs artistes ont profité du confinement pour poursuivre ou lancer des recherches pertinentes. Leurs galeristes n’ont souvent pas réagi aussi pertinemment. Leur situation financière souvent précaire, d’autant plus compliquée depuis le mois de mars, paraît les avoir paralysés.
Les visites d’atelier qu’ils organisent sur les plateformes digitales sont souvent dédiées aux artistes les plus établis de leur programme. Le manque de moyens financiers et les angoisses qui caractérisent leur quotidien semblent avoir terni leur inventivité. Si, comme leurs prédécesseurs, ils attendent impatiemment d’être sélectionnés pour les grandes foires internationales, ils risquent fortement d’être les premières victimes de cette pandémie.
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