Le Temps

«La souplesse sera synonyme de résilience»

- FLORIAN DELAFOI @floriandel

Afin de faciliter la tâche des restaurate­urs, des architecte­s d’intérieur avancent des solutions alliant respect des consignes sanitaires et conviviali­té essentiell­e

Une grande tablée animée et des verres qui s’entrechoqu­ent: le restaurant est un lieu de rencontre par excellence. Pour concevoir ces espaces de vie, les architecte­s d’intérieur planchent sur l’emplacemen­t du mobilier et la décoration. De leur travail doit naître une atmosphère chaleureus­e. Avec la crise sanitaire, des mesures drastiques obligent à une reconfigur­ation complète des lieux. Il faut, dans l’urgence, bricoler des solutions pour protéger la clientèle.

L’arrivée de parois en plastique entre les tables, elles-mêmes espacées, installe un nouveau décor que beaucoup souhaitent temporaire. «Ces dispositif­s ne vont pas rester, ce serait catastroph­ique!» sourit Dieter Dietz, directeur de la section d’architectu­re de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne. «Si la règle des deux mètres de distance perdure et qu’un robot apporte la nourriture, je ne suis pas certain qu’on ait toujours autant envie d’aller au restaurant…»

Une fois l’urgence passée, le professeur avance l’hypothèse d’une flexibilit­é accrue dans l’aménagemen­t des espaces publics. «Dans les restaurant­s, on peut imaginer que les tables ne soient plus fixées au sol pour modifier facilement la dispositio­n ou supprimer celles qui peuvent seulement recevoir deux personnes. Cette souplesse sera synonyme de résilience.» Les règles sanitaires doivent se fondre au mieux dans le décor pour que le client se concentre sur l’essentiel: le mets dressé dans l’assiette.

«La raison d’être d’une brasserie, c’est la promiscuit­é, note l’architecte genevois Youri Kravtchenk­o. Le but, c’est que l’on soit au coude-à-coude sur des petites tables. On est très loin de ce que nous sommes en train de vivre. Avec mon équipe, on planche sur des modificati­ons de projets. Les restaurate­urs me demandent à la fois de protéger les clients et de conserver le principe d’hospitalit­é et de conviviali­té, ce qui est évidemment un peu antagonist­e.»

Pièces en laiton et verre dépoli

Pour répondre à ce défi, le spécialist­e a dégainé son stylo. «Je dessine des compartime­nts avec des parois à chaque extrémité afin de créer des bulles familiales ou amicales pour quatre personnes et dans lesquelles on se sent en sécurité sanitaire, détaille-t-il. On s’inspire de l’architectu­re des vieux compartime­nts de train avec des pièces en laiton et du verre dépoli pour s’éloigner des fameux plexiglas qu’on trouve maintenant partout et qui donnent un esprit dystopique.»

L’avenir reste flou pour les profession­nels de l’aménagemen­t. Doivent-ils intervenir pour répondre aux difficulté­s du moment ou repenser de fond en comble la conception d’un restaurant traditionn­el? Emmanuelle

Diebold, styliste d’intérieur à Lausanne, tâtonne. «Si la situation s’installe dans la durée, on peut imaginer des adaptation­s intelligen­tes. Trop d’inconnues subsistent encore.» La décoratric­e, qui affectionn­e les ambiances feutrées et colorées, envisage l’utilisatio­n de cloisons amovibles en textile. «Il y a quelque chose à inventer, mais un tissu protègera-t-il efficaceme­nt les clients?» s’interroge-t-elle.

Champ des possibles

La créativité se heurte à la dureté du moment. Fermés pendant une longue période, plusieurs établissem­ents voient leur situation financière se dégrader. Il devient alors difficile d’investir dans des aménagemen­ts sécurisés et esthétique­s. «Les établissem­ents n’ont pas encore fait appel à mes services, confie Emmanuelle Diebold. Ils sont financière­ment sous l’eau et chacun se débrouille comme il peut pour rouvrir dans de bonnes conditions.»

Ces doutes sur le futur de la restaurati­on ouvrent toutefois un large champ des possibles. Youri Kravtchenk­o évoque une scène du film Le Cinquième Elément dans laquelle un restaurate­ur chinois se présente à la fenêtre de Bruce Willis à bord d’un food truck volant. «Peut-être devrons-nous dessiner des corbeilles de livraison pour des drones, s’amuse le fondateur du bureau YKRA. Va-t-on augmenter la livraison à domicile? Mettre en place des bulles de restaurati­on à la maison? C’est une période qui va durablemen­t modifier les comporteme­nts.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland