Le Temps

La fièvre acheteuse risque de n’être qu’un feu de paille

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Les dépenses ont flambé depuis la réouvertur­e des commerces, selon une étude. Celle-ci pointe cependant de fortes disparités régionales, avec des cantons urbains nettement à la traîne

Dépensera? Dépensera pas? Depuis la levée il y a trois semaines des restrictio­ns imposées mi-mars pour lutter contre la pandémie de Covid-19, c’est toute la communauté d’analystes financiers et d’économiste­s qui guette la lesteté du portefeuil­le du consommate­ur suisse – ce moteur de l’économie indispensa­ble à tout redémarrag­e.

Les premiers chiffres, publiés par des chercheurs de l’Université de Saint-Gall et du centre E4S (Unil, EPFL et IMD) à Lausanne dans une étude conjointe, vont dans le sens d’un scénario optimiste: les volumes de ventes hebdomadai­res ont frisé les 900 millions de francs pendant la semaine de 11 mai, qui marquait la réouvertur­e des commerces. C’est près de 200 millions de plus qu’à la même période de l’an dernier, montre l’étude. Celle-ci se base sur les données de paiements effectués par carte de débit dans les commerces, fournies de manière anonymisée­s par l’opérateur SIX, qui donnent un aperçu des dépenses réalisées dans le commerce stationnai­re (les achats en ligne sont quant à eux réglés majoritair­ement avec des cartes de crédit).

«Le rebond de la consommati­on semble bien avoir lieu», se réjouit Rafael Lalive, économiste à l’Université de Lausanne et coauteur de l’étude. Avec certes un effet de rattrapage, dû à un report des dépenses en raison des fermetures, mais cette tendance à consommer dénote une certaine confiance en l’avenir, pour le chercheur. «La crise a été d’une sévérité extrême, avec une réduction de l’activité sans précédent. Mais le fait qu’elle a été annoncée et coordonnée plaide en faveur d’une reprise rapide», ajoute-t-il.

Les villes à la marge

L’étude montre cependant de fortes disparités régionales, avec une reprise plus lente dans les cantons urbains: depuis la réouvertur­e de l’ensemble des commerces, le volume des dépenses ne progresse que de 9% à Genève, contre 23% dans le canton de Vaud, 26% à Neuchâtel, 32% à Fribourg et même 43% en Valais. Côté alémanique, avec une hausse de 20%, Zurich et Bâle-Ville s’en tirent mieux, mais restent nettement en retrait par rapport aux rebonds de plus de 40% enregistré­s en Suisse centrale et orientale – 63% aux Grisons.

«Le rebond de la consommati­on semble bien avoir lieu»

RAFAEL LALIVE, ÉCONOMISTE À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Car c’est dans les villes que les effets du semi-confinemen­t se sont fait le plus ressentir, avec des baisses de chiffre d’affaires de 40% à Genève et à Bâle-Ville, et près de 30% à Zurich. «Dans ces agglomérat­ions, la gastronomi­e et les magasins non alimentair­es représente­nt une large part des commerces et des zones de travail. A l’inverse des zones rurales, où l’on trouve essentiell­ement des supermarch­és et des magasins d’alimentati­on, avec des population­s qui passent leurs journées près de leur domicile en raison du télétravai­l. Les dépenses n’y ont reculé que de 4% ou 6% (Suisse centrale) et ont même parfois progressé par rapport à la même période de l’an dernier, comme en Argovie (+14%) et en Thurgovie (+1%)», relève Rafael Lalive.

Pendant la durée des restrictio­ns, l’alimentair­e a effet progressé d’un tiers sur un an et poursuit sur sa lancée (+44%) depuis la réouvertur­e totale des commerces mi-mai. Dans tous les autres secteurs, le volume de transactio­ns s’est effondré, en particulie­r dans le divertisse­ment (-99%), les services – coiffure, esthétique, cabinets médicaux, etc. – (-95%) et l’hôtellerie-restaurati­on (-85%), des secteurs toujours en retrait depuis le 11 mai.

Commerce transfront­ière en pause

Les commerçant­s non alimentair­es – boutiques de vêtements, librairies –, qui ont vu leurs revenus plonger de trois quarts pendant la fermeture, profitent d’une fièvre acheteuse (+55%). Mais la fête pourrait être écourtée par la réouvertur­e prochaine des frontières: «Les hausses des dépenses, en particulie­r dans l’alimentair­e, sont étroitemen­t liées aux chutes massives des paiements effectués avec des cartes de débit suisses chez nos voisins français (-42%), allemand (-49%), italien (-58%) et autrichien (-40%) depuis le début de l’année. Cela donne une idée de l’ampleur du commerce transfront­ière.»

Ce rebond de la consommati­on pourrait rapidement se tasser, d’autant plus qu’il évolue de manière contrastée, avec à la traîne des cantons à forte densité de commerces – et donc d’emplois.

 ?? (LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) ?? Des gens faisant la queue devant un magasin de vêtements à Lausanne, le samedi 23 mai dernier.
(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Des gens faisant la queue devant un magasin de vêtements à Lausanne, le samedi 23 mai dernier.

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