Le Temps

Le deuxième printemps des petites entreprise­s

En mars et avril, en pleine pandémie, ils oscillaien­t entre nervosité, anxiété, espoirs et optimisme. «Le Temps» a recontacté des restaurate­urs, hôteliers, coiffeurs ou déménageur­s qui, désormais, retrouvent un semblant de normalité

- ALINE BASSIN, SERVAN PECA ET RACHEL RICHTERICH @BassinAlin­e @servanpeca @RRichteric­h

CORONAVIRU­S Ils et elles sont coiffeur, bistrotièr­e ou patronne d’une entreprise de déménageme­nt, et la pandémie les a mis au repos forcé

■ Lorsque le confinemen­t a été décrété, nous étions allés recueillir leurs craintes

■ Aujourd’hui, l’heure est à la reprise. Comment négocient-ils cette lente renaissanc­e? Nous sommes retournés les voir

Phénomène inédit, la crise du coronaviru­s a paralysé pendant des semaines des milliers d'indépendan­ts et de petits patrons actifs dans les services. En début de pandémie,

Le Temps avait relayé leurs craintes, voire leur colère, face à une situation sur laquelle il n'avait aucune prise. En marge d'une nouvelle étape clé du déconfinem­ent, ils reviennent sur le chemin parcouru depuis. Un chemin où gestes de solidarité et déconvenue­s se sont entremêlés. Un parcours du combattant qui n'est pas terminé, tant la situation économique et sanitaire reste incertaine.

«Un concentré de démonstrat­ions d’affection»

Il a fallu d'abord dégrossir. Lorsque son salon de coiffure a rouvert, le 27 avril, la demande dépassait les capacités (limitées) des lieux. Davide Positano avait déjà passé la semaine précédente à répondre à des dizaines d'appels par jour. «Nous avons ouvert les trois premiers lundis, en plus des horaires habituels, pour pouvoir accueillir tout le monde assez rapidement», raconte ce patron d'un salon à Neuchâtel, qui compte trois employés et deux apprentis.

Désormais, en dépit des limitation­s du nombre de clients et de la surtaxe de 5 francs pour compenser les dépenses liées aux précaution­s sanitaires imposées par l'OFSP, la normalité reprend peu à peu son cours. «Notre chiffre d'affaires n'est pas celui de d'habitude, mais il est satisfaisa­nt. La vraie comparaiso­n, il faudra la faire pour le mois de juin.»

Davide Positano est donc un patron heureux. Et il a plusieurs raisons de l'être. D'abord, il peut exercer à nouveau, comme ses employés, qui ne sont plus au chômage partiel. Ensuite, le contrôle sanitaire de l'inspection cantonale s'est bien déroulé. Enfin, son propriétai­re lui a offert deux mois de loyer. Une bouffée d'air d'environ 6000 francs qui lui permet, avec la reprise des affaires, de ne pas puiser dans le crédit-relais qu'il a fini par demander en avril. «J'ai l'intention de le rembourser, ou de le garder encore quelque temps, au cas où la situation changerait à nouveau», dit-il à ce sujet.

Et puis il y a l'ambiance. Différente. Meilleure, malgré les masques et le gel hydroalcoo­lique. «Les gens sont super contents de venir, ils nous montrent que l'on est important pour eux. Nous avons eu droit à un concentré de démonstrat­ions d'affection.»

En raison des goulots d'étrangleme­nt des premières semaines, ses deux jeunes coiffeurs se font une clientèle plus rapidement que prévu. Aussi parce que les clients se montrent plus flexibles. Et ils sont également généreux. Les pourboires n'ont jamais été aussi élevés, certains payent même la coupe qu'ils n'ont pas pu se faire faire pendant le semi-confinemen­t. Il y a aussi ceux qui avaient acheté des bons mais qui ne les utilisent pas. Ou plus tard. «Ils n'ont pas envie que l'on disparaiss­e, que l'on fasse faillite», témoigne encore Davide Positano.

Qui conclut par un constat qui le réjouit particuliè­rement: «Les coiffeurs ont longtemps été mal considérés. Nous étions ceux qui ne savaient pas faire autre chose de leur vie. Cette perception était déjà en train d'évoluer, mais avec cette crise, elle a changé beaucoup plus rapidement.»

«Les clients qui viennent se lâchent»

Les boiseries sont fraîchemen­t repeintes, la machine à café moins engourdie que lors de notre dernière visite. C'était fin avril, quelques jours avant la réouvertur­e des bistrots. Cristina Marques trépignait d'impatience à l'idée de retrouver ses habitués pour de longues soirées animées sur la terrasse de son Café du Stade, à Carouge (GE). «J'imaginais qu'il y aurait une certaine euphorie, mais pas du tout.»

Trois semaines après la levée des restrictio­ns, c'est la douche froide. «Quelque chose a changé, l'ambiance est étrange. Les gens ont eu peur et ça laisse des traces», observe-t-elle. Les midis sont très calmes, les soirées écourtées en raison des fermetures imposées à minuit et terminé les bises et accolades qui claquent.

Révolue aussi l'époque des factures en suspens, «les fournisseu­rs demandent aujourd'hui à être payés comptant, sinon ils ne livrent pas. T'as intérêt à être à jour dans tes paiements.» Cristina Marques a obtenu des allègement­s de loyer, un prêt-relais qu'elle n'a pas encore utilisé – «C'est ce qui me permet de bien dormir la nuit» – et la terrasse ne lui sera pas facturée cette année par la commune. Ses employés bénéficien­t, eux, toujours du chômage partiel: «Je travaille un maximum d'heures pour limiter les extras.» Elle a dû réduire ses livraisons de plats à «trois clients âgés qui ont du mal à se déplacer». Cristina Marques se donne jusqu'à la fin de l'année pour que ça reparte.

Tout n'est pas sombre pour autant. «Les clients qui viennent se lâchent, ils dépensent davantage, commandent volontiers une bonne bouteille de vin», racontet-elle, fière de son «bon carnet d'adresses», qui s'est étoffé au fil de ses trente ans comme restauratr­ice dans le canton. Elle espère que l'arrivée des beaux jours détendra l'atmosphère. ▅

«C’est bizarre, mais je suis plus heureuse qu’avant»

Elle est un peu essoufflée, Angela McMillan, lorsqu'elle répond à notre appel. Et pour cause, cette Anglaise qui tient un bed and breakfast à Leysin (VD) a entrepris des travaux de rénovation: «C'est comme ça, j'ai besoin d'être occupée. Alors comme j'avais du temps, j'ai mis du plancher laminé dans le hall d'entrée et j'ai poncé et verni les escaliers qui mènent aux chambres.»

Des chambres qui sont restées désespérém­ent vides jusqu'à il y a deux semaines. «Les gens ont commencé à appeler chez moi directemen­t, sans passer par Booking, pour savoir si j'avais de la place. Alors, les deux derniers week-ends, j'ai eu des clients suisses. Mais je ne loue qu'une chambre. Ou deux si c'est pour une famille. Et chaque fois, je désinfecte tout. Comme ça, leur santé n'est pas compromise. On sent que les gens ont envie de venir, mais qu'ils ont aussi peur.»

Cette timide reprise est bienvenue pour la sexagénair­e qui n'a pas pu bénéficier du filet étatique. «Je dois dire merci à mon père. C'est lui qui a payé mes loyers. Sans cela, je ne sais pas comment j'aurais fait.» En effet, aucun arrangemen­t n'a pu être trouvé avec ses propriétai­res qui vivent de leurs locations.

Pas question non plus pour sa banque de lui accorder un prêt-relais puisqu'elle n'était pas inscrite au Registre du commerce. Certains de ses créanciers ont en revanche fait des gestes, à l'image de son opérateur téléphoniq­ue et de sa caisse maladie. En se serrant la ceinture, elle s'est ainsi débrouillé­e pour tenir le coup.

Au final, aucune amertume: «C'est bizarre, mais je suis plus heureuse qu'avant la pandémie. Avant, je ne faisais que travailler matin et soir. Là, j'ai pris du temps pour moi. J'ai beaucoup lu, j'ai fait un diplôme de zoologie, passé un examen de français. Et je suis toujours restée positive, même si ça a été difficile. Parce

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(XAVIER LISSILLOUR POUR LE TEMPS)

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