Vevey, un champ de mines
VAUD Le 21 juin, les Veveysans sont appelés à élire un successeur au municipal Etienne Rivier. Le vainqueur entrera dans un collège plombé par les affaires
Les Veveysans sont appelés aux urnes le 21 juin prochain pour une élection complémentaire à la municipalité, sur fond de crise politique sans précédent. La participation promet d’être faible et le résultat incertain dans un scrutin pourtant crucial pour la ville
Rarement une élection n’aura autant ressemblé à une chaussetrappe. «Il faut être complètement fou pour vouloir aller se mettre dans une telle galère», lance un conseiller communal de Vevey. Un avis largement partagé sur la Riviera vaudoise. L’élection complémentaire à la municipalité du 21 juin prochain, organisée à la suite de la démission du PLR Etienne Rivier, arrive dans un contexte explosif. Le nouvel élu va en effet devoir siéger dans un exécutif secoué depuis quatre ans par les scandales et miné par les querelles personnelles, qui ont atteint un degré de violence sans précédent dans une commune vaudoise.
La situation de crise est si aiguë au sein de la municipalité de Vevey que le PLR, premier parti au Conseil communal, a même hésité à aller défendre son siège. «A l’interne, ils étaient nombreux à penser qu’il ne fallait envoyer personne dans ce bourbier et que nous aurions intérêt à attendre les élections générales de mars 2021. Celles-ci vont rebattre les cartes avec le passage de cinq à sept élus», confirme Philippe Herminjard, président de la section veveysanne. «Mais nous avons des responsabilités envers nos électeurs», plaide le responsable PLR, dont le parti a finalement choisi de miser sur la relève en lançant l’avocat Valentin Groslimond, 32 ans, novice en politique.
Soutenu par les partis de l’Entente, le jeune homme aura comme principal adversaire un représentant de la gauche de la gauche, Yvan Luccarini, député de Décroissance-Alternatives au Grand Conseil, qui a déjà été proche de faire son entrée à la municipalité. Les deux derniers candidats auront de la peine à faire davantage que de la figuration: Oliver Ghorayeb, du nouveau parti En Avant Vevey, surtout connu par son poste de président du club Union Lavaux Riviera Basket, et Daniel Beaux, ancien socialiste aujourd’hui inscrit sur une liste baptisée Mouvement citoyen veveysan.
Lassitude et écoeurement
Mais au-delà du choix hétéroclite proposé aux électeurs, la question qui inquiète est celle de la mobilisation. Déjà chamboulée par le report de l’élection du 17 mai au 21 juin à cause du coronavirus, la campagne peine à débuter, d’autant plus que le support médiatique traditionnel, le journal Le Régional, a fait faillite au début du mois de mai. Mais le confinement n’est de loin pas le seul responsable. «Il y a une telle lassitude face aux affaires, les gens sont écoeurés, s’inquiète Julien Rilliet, spécialiste en communication politique et conseiller communal socialiste. Déjà qu’il est difficile de mobiliser lors d’une complémentaire, on pourrait tomber ici à 25%, voire à 20% de taux de participation».
Surtout, ces derniers jours, au moment où les citoyens s’apprêtent à recevoir leur enveloppe de vote, l’attention a une nouvelle fois été accaparée par les affaires entourant l’exécutif. Lundi, le municipal Michel Agnant, souvent décrié pour son style peu consensuel, était finalement lâché par son parti, Vevey Libre, qui lui demandait de «prendre ses responsabilités». Une prise de position qui faisait suite aux révélations du quotidien vaudois 24 heures, expliquant comment l’élu avait tenté de passer en force dans un dossier d’achat d’un lotissement immobilier de 2 millions de francs. Désormais isolé, Michel Agnant a néanmoins refusé de démissionner. Commencée le 1er juillet 2016 avec des tensions liées à la composition des dicastères, cette législature n’a été qu’une inexorable crise, ponctuée de perquisitions, de procédures pénales, de médiations avortées, de suspensions, de commandements de payer, de rétropédalages et de ruptures de collégialité. Aujourd’hui, amputé de l’ex-socialiste Lionel Girardin, sous enquête pour gestion déloyale et abus de confiance, l’exécutif n’est plus que divisions et blocages. «La législature est perdue, il n’y a plus rien à en attendre», déplore Bastien Schobinger, président de l’UDC veveysanne.
Comment a-t-on pu en arriver à un tel «accident industriel», selon les termes d’un observateur de la vie locale. Celui-ci constate un lent appauvrissement de la classe politique veveysanne, après les grandes figures que furent le socialiste Pierre Aguet et le PLR Yves Christen, voire l’avocat-trublion Pierre Chiffelle. Certains pointent du doigt le Parti socialiste incapable de préparer la relève de Laurent Baillif, hégémonique syndic de 2006 à 2016, époque où le PS a compté trois municipaux sur cinq. D’autres enfin évoquent la fatalité.
Ville qui a mal à son urbanisme
Mais pour Yvan Luccarini, candidat à la complémentaire, il ne faut pas baisser les bras: «Arrêtons de penser qu’il faut attendre les élections de 2021. Il est urgent d’apaiser la situation, en premier lieu pour l’administration communale, fragilisée par les départs et les arrêts de travail.» Il y a aussi d’importants dossiers en cours, comme le réaménagement de la place du Marché ou encore la révision du plan général d’affectation, dans une ville qui a mal à son urbanisme. Avec près de 8400 habitants au km², Vevey possède ainsi l’une des densités les plus élevées de Suisse. Freinée par l’étroitesse de son territoire, la cité de la Fête des Vignerons n’est ainsi plus «que» la sixième commune vaudoise en termes de population.
Mais, la perspective de voir Yvan Luccarini, et avec lui l’extrême gauche, faire son entrée à la municipalité sert de repoussoir pour une droite qui se verrait en plus privée de son unique siège. «Impensable que 40% des électeurs ne soient plus représentés», pour l’UDC Bastien Schobinger. Avec le faible taux de participation, le scrutin promet d’être incertain. Et, vu le duel gauchedroite qui s’annonce, peut-être que, pour quelques jours, la politique reprendra enfin ses droits en ville de Vevey. ▅
Cette législature n’a été qu’une inexorable crise, ponctuée de perquisitions, de procédures pénales, de médiations avortées