Donald Trump, l’armée et la Constitution
Certains symboles sont particulièrement puissants. Cette semaine, à Washington, à cause des émeutes liées à la mort de l’Afro-Américain George Floyd sous le genou d’un policier blanc, la Maison-Blanche a été plongée dans l’obscurité, Donald Trump a été transféré pendant une heure dans un bunker sécurisé, et des réservistes de la Garde nationale appelés en renfort se sont agenouillés sur injonction de protestataires. Du jamais vu.
Le président des Etats-Unis, prompt à faire régner la «loi et l’ordre», a probablement très mal vécu son heure à l’isolement, et encore plus quand le New York Times a révélé l’affaire, en soulignant que le Secret Service ne lui avait pas vraiment laissé le choix. Il a d’abord voulu faire croire à une sorte d’inspection des lieux. Puis, pour mieux faire avaler la pilule, il s’est empressé de se lancer dans ce qu’il pensait être un acte de bravoure. C’est à pied qu’il s’est rendu à l’église Saint-John, toute proche de la Maison-Blanche, entouré d’une armada de membres du Secret Service plus nerveux que jamais. Le parcours a été nettoyé de tout perturbateur pour que la mise en scène soit parfaite. Ou presque parfaite: personne n’est dupe que Donald Trump, bible à la main et air grave, s’est surtout prêté à une opération de communication XXL.
Un général des Forces armées a appelé ses troupes à défendre prioritairement la Constitution
Sauf qu’il y a bien plus profond que cela. Et cette semaine à Washington est bien l’une des plus folles vécues depuis longtemps. Donald Trump menace de maîtriser les émeutes par la force, de faire appel à des soldats «lourdement armés» pour faire régner l’ordre dans les rues. Or, du côté du Pentagone, la révolte gronde. Et ce ne sont pas uniquement d’anciens généraux ou ministres, à l’abri de la colère présidentielle et de toute velléité de limogeages, qui donnent de la voix. Le ministre de la Défense actuel, Mark Esper, dit très clairement ne pas avoir l’intention de suivre les fantasmes présidentiels, au risque de se mettre sur un siège éjectable: «La possibilité d’employer les forces actives dans un rôle de maintien de l’ordre ne devrait être utilisée qu’en dernier recours et uniquement dans les situations les plus urgentes et les plus graves. Nous ne sommes pas dans une de ces situations actuellement.» Un général des Forces armées a de son côté appelé ses troupes à défendre prioritairement les valeurs de la Constitution. Et non les caprices du président, aurait-il pu ajouter. Enorme.
Autre symbole fort, la Maison-Blanche ressemble ces jours à un camp retranché et toujours plus à une prison dorée pour Donald Trump, président isolé et contesté dans ses propres rangs. Elle est entourée de grillages noirs qui la rendent encore plus inaccessible. Pour Donald Trump, qui a fait de son «mur» avec le Mexique, pour freiner la migration clandestine et les trafiquants de drogue, sa principale promesse de campagne, et qui rêvait d’un déconfinement rapide post-Covid-19, la situation est particulièrement piquante. Qui aurait pensé qu’en 2020 il serait obligé de s’emmurer pour se protéger de ses concitoyens en colère? Certainement pas lui.
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