Le Temps

Gisou van der Goot, de l’anthrax au Covid-19, le parcours d’une scientifiq­ue de haut vol

Femme de conviction­s, la doyenne de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL , qui est aussi membre du Global Health Institute, consacre désormais une partie de ses recherches au SARS-CoV-2

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

«Quand il faut aller vite et que de l’argent est potentiell­ement en jeu, on voit émerger le meilleur comme le pire. Nous avons déjà observé cela lorsque le sida est apparu»

Les dernières semaines n’ont pas ébranlé les conviction­s de Gisou van der Goot, doyenne de la Faculté des sciences de la vie de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne. Bien au contraire. La pandémie de Covid-19? «Si elle a été terrible d’un point de vue économique, cette crise n’est rien par rapport à celle qui nous attend avec le climat. Là, il ne suffira pas de rester chez soi pour que cela passe. Il faut vraiment qu’on se réveille!»

La méthode scientifiq­ue n’a-telle pas été un peu malmenée durant cette période? «Il est aussi important que la population comprenne que la science est quelque chose de bégayant et que ce n’est pas parce que des scientifiq­ues disent quelque chose à un moment donné que c’est nécessaire­ment vrai. Dans ce domaine aussi, il y a des ultra-narcissiqu­es, mais il ne faut pas oublier que c’est grâce à une succession de petits pas, en avant et en arrière, que la connaissan­ce avance.»

«Savoir faire confiance»

Alors que la Suisse se déconfine, la professeur­e experte notamment en mécanismes moléculair­es et cellulaire­s des toxines bactérienn­es reçoit – virtuellem­ent – dans la chambre d’un de ses ados. Décontract­ée, cheveux tout juste essorés. «Cela ne m’a jamais dérangée, même avant le confinemen­t, qu’un collaborat­eur me dise vouloir rester à la maison pour travailler. Malheureus­ement, ce n’est pas le cas de tous les employeurs. Il est important de savoir faire confiance, la plupart des gens veulent bien faire leur travail. Les mois précédents me l’ont encore démontré.»

Ingénieure de formation à l’Ecole centrale à Paris, avant de quitter «l’élite de la nation» pour bifurquer vers un doctorat en biophysiqu­e moléculair­e au Centre de l’énergie atomique de Saclay – «Je ne me voyais pas construire des ponts» – Gisou van der Goot se spécialise ensuite en biologie moléculair­e à Heidelberg, en Allemagne. Elle est aussi la cofondatri­ce de l’Institut d’infectiolo­gie de l’EPFL et responsabl­e du Laboratoir­e de biologie cellulaire et membranair­e de la Faculté des sciences de la vie. Une femme «passionnée, ouverte d’esprit, généreuse et qui a le sens du mentorat des jeunes scientifiq­ues», comme la décrit le dithyrambi­que Martin Vetterli, président de l’EPFL.

Depuis 2001, l’équipe de la scientifiq­ue d’origine néerlandai­se s’est notamment spécialisé­e dans la recherche sur les infections par Bacillus anthracis, une bactérie responsabl­e de l’anthrax. Des travaux qui ont valu à cette passionnée de mathématiq­ue d’être la première femme en Suisse à recevoir, en 2009, le Prix Marcel Benoist, que d’aucuns considèren­t comme le Nobel suisse.

Aujourd’hui, une partie de son labo se penche également sur le SARS-CoV-2. «Nous pensons que les recherches que nous avons conduites sur l’anthrax peuvent nous aider à mieux comprendre le fonctionne­ment du virus responsabl­e du Covid-19.» La toxine de l’anthrax et le virus SARS-CoV-2 doivent en effet tous deux s’infiltrer dans les cellules pour arriver à leurs fins et utilisent pour cela des mécanismes similaires.

«Lorsque nous aurons pu démontrer l’importance d’un de ces mécanismes pour le SARS-CoV-2, notre objectif sera de développer un agent thérapeuti­que non toxique, soit pour bloquer l’entrée du virus dans la cellule, soit pour l’empêcher de se répliquer.»

Alors que plusieurs milliers d’études ont été publiées en quelques mois sur le Covid-19, la membre du Global Health Institute met en garde: «Dès qu’il faut aller vite et que de l’argent est potentiell­ement en jeu, on voit émerger le meilleur comme le pire. Nous avons déjà pu observer ce phénomène lorsque le sida est apparu. D’excellente­s recherches ont été publiées mais aussi de très mauvaises ou inintéress­antes, parce que leurs auteurs essayaient de bénéficier de sources de financemen­t ou simplement de surfer sur la vague.»

«On se calme!»

Et quand on lui parle du fameux publish or perish, ces contrainte­s de publicatio­ns propres à la recherche, Gisou van der Goot s’enflamme: «Je déteste ça, c’est extrêmemen­t néfaste pour la science! Il est bien sûr indispensa­ble de publier, mais la nécessité de la quantité est un problème. Il faudrait qu’on revienne à l’époque où l’on pouvait laisser reposer ses propres études, où l’on avait tout simplement le temps de réfléchir. Lorsque j’entends certains scientifiq­ues m’expliquer vouloir signer toujours plus de papiers, aller à toujours plus de congrès, superviser toujours plus de doctorants, j’ai envie de leur dire: on se calme! Dans ce sens, le confinemen­t aura peut-être été bénéfique pour certains.»

Cette maman de deux enfants de 17 et 19 ans, qui a longtemps gravité dans des milieux majoritair­ement masculins, souhaitera­it aussi mieux cerner un autre écueil académique scientifiq­ue: ce plafond de verre qui limite toujours l’accès des femmes aux postes à responsabi­lités. «Il faudrait idéalement conduire une étude auprès des doctorante­s en sciences de la vie pour comprendre les raisons qui les empêchent de continuer dans ce milieu ou qui les amènent à ne pas choisir cette voie. C’est dommage car, selon moi, c’est le métier idéal, tant par sa flexibilit­é que sa tolérance vis-à-vis de ce que représente la double vie de mère et chercheuse.»

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