Comment le virus empoisonne la campagne présidentielle
ÉTATS-UNIS Donald Trump baisse dans les sondages au profit de son rival, le démocrate Joe Biden, qui renonce à organiser des meetings électoraux jusqu’au 3 novembre. Cette drôle de campagne pourrait réserver d’autres surprises
Donald Trump ne vit pas ses meilleurs jours. Critiqué pour sa gestion de la pandémie et de l’affaire Floyd, il doit faire face à une réalité: les récents sondages donnent son rival, le démocrate Joe Biden, gagnant pour la présidentielle, malgré sa campagne très discrète. Désormais, même la chaîne Fox News s’interroge: et si le président abandonnait la course? Des républicains font mine de le craindre. Le président a pour l’instant surtout montré qu’il n’accepterait pas la défaite en cas de jour noir pour lui le 3 novembre. Quant à Joe Biden, il vient d’annoncer qu’il n’organisera aucun meeting jusqu’à l’élection, à cause des risques sanitaires. Une chose est certaine: la cuvée présidentielle 2020, chamboulée par le coronavirus, ne ressemblera à aucune autre. Et promet encore des soubresauts.
Les conventions nationales. Les démocrates ont déjà repoussé leur convention, qui avalisera officiellement la candidature de Joe Biden, de juillet à août, à cause du Covid-19. Elle aura désormais lieu du 17 au 20 août à Milwaukee, Wisconsin. Et promet de sacrés casse-têtes sur le plan de l’organisation. Se fera-telle essentiellement online? Côté républicain, la convention devait se tenir du 24 au 27 août à Charlotte, en Caroline du Nord. Mais furieux de l’attitude du gouverneur, qui ne pouvait garantir le rassemblement en raison des mesures sanitaires décrétées, Donald Trump a obtenu qu’elle soit en grande partie déplacée à Jacksonville, en Floride. Sauf que voilà: la ville, à cause de l’augmentation dramatique du nombre de contaminations, vient de décréter l’obligation du port du masque dans les espaces publics quand la distanciation sociale n’est pas possible. Donald Trump refuse toujours obstinément d’en porter. Et son récent meeting à Tulsa (Oklahoma) n’a pas eu la participation espérée. Les participants ont dû s’engager à ne pas poursuivre l’administration Trump en justice s’ils y contractaient le coronavirus. La dernière fois que la Floride a accueilli une convention républicaine, en 2012 à Tampa, l’ouragan Isaac avait contribué à la raccourcir.
Le jour J. Si la pandémie n’est pas maîtrisée d’ici là, faudra-t-il carrément repousser le jour de l’élection présidentielle? Cela n’est jamais arrivé, mais c’est théoriquement possible, à condition d’obtenir le feu vert du Congrès. Une chose ne peut toutefois pas changer: la date du jour de l’investiture, le 20 janvier. C’est inscrit dans la Constitution. «Les mandats du président et du vice-président prendront fin à midi, le vingtième jour de janvier», précise le XXe amendement.
Le vote par correspondance. Le président Donald Trump est opposé à une généralisation du vote par correspondance pour la présidentielle. Ses craintes: des «fraudes massives», des «bulletins falsifiés, imprimés par des puissances étrangères» ou encore des «résultats truqués». Or aucun expert ne semble partager cet alarmisme. Deux de ses tweets ont d’ailleurs été signalés le 26 mai dernier par Twitter comme comportant des informations trompeuses. Plusieurs Etats américains autorisent déjà le vote par correspondance. C’est par exemple le cas de l’Utah, de l’Oregon, du Colorado ou d’Hawaï. D’autres le permettent, mais à condition de le demander, comme la Pennsylvanie ou le Wisconsin. Enfin, une quinzaine d’Etats exigent une excuse valable pour ne pas se rendre dans un bureau de vote, par exemple un lourd handicap.
Des actions en justice. Les républicains multiplient les démarches devant les tribunaux pour éviter un accès trop facile au vote par correspondance. Au Texas par exemple, ils ont obtenu que les plus de 65 ans, une catégorie à risque, ne puissent pas invoquer le coronavirus pour voter sans se déplacer. Le président et ses partisans disposent d’une série de mécanismes pour perturber les élections, résume Politico. Compliquer l’accès aux bureaux de vote et intimider ou décourager les électeurs peuvent en faire partie. Dans certains Etats, la tenue des primaires en pleine pandémie a suscité des controverses. En Géorgie, qui avait déjà repoussé ses primaires deux fois, des électeurs ont dû attendre plusieurs heures, notamment à cause d’un nouveau système de votation déficient et parce que le personnel électoral avait été réduit à cause des risques sanitaires. Au total, 250 millions d’Américains sont en âge de voter. Mais ces situations chaotiques pourraient favoriser l’abstentionnisme. Au profit de qui?
Des résultats tardifs? En cas de recours massif au vote par correspondance, c’est le risque. Brian Corley, le superviseur des élections dans le comté de Pasco, en Floride, précise par exemple au New York Times que son Etat a étendu sa période de traitement des bulletins de vote par correspondance. Mais le temps exact nécessaire pour déclarer un vainqueur dépendra de la proximité de la course entre les candidats. En 2000, il a fallu un recomptage des voix et une décision de la Cour suprême. Selon lui, l’attente cette année pourrait être mesurée en jours. Il ose une comparaison: «Les élections ressemblent beaucoup à Thanksgiving. Vous finissez la dinde, mais vous avez encore les restes à distribuer.»
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«Les élections ressemblent beaucoup à Thanksgiving. Vous finissez la dinde, mais vous avez encore les restes à distribuer»
BRIAN CORLEY, SUPERVISEUR DES ÉLECTIONS DANS LE COMTÉ DE PASCO (FLORIDE)