Le Temps

Notre système de prévoyance n’est pas en phase avec les nouveaux modes de vie

- MARLÈNE RAST, GROUPE MUTUEL

Les couples non mariés, c’est-à-dire les concubins, n’existent ni pour l’AVS et l’AI, ni pour la LAA, et ont une existence non officielle pour la LPP, la loi ne les reconnaiss­ant pas formelleme­nt. Pourtant, il est fréquent que les institutio­ns de prévoyance leur accordent des prestation­s

Marlène Rast, directrice adjointe et responsabl­e du secteur Prévoyance au Groupe Mutuel, milite pour une révision de la loi afin de corriger des inégalités désuètes.

Un exemple réel et douloureux. Un papa se retrouve seul avec ses deux jeunes enfants à la suite du décès de son épouse. Ils avaient longuement hésité à se marier, car ils n’en ressentaie­nt pas le besoin. Ils l’ont fait en priorité pour se donner mutuelleme­nt une couverture sociale lorsque les enfants sont arrivés. Grâce aux rentes de veuf de l’AVS et du 2e pilier, ce papa a pu réduire son taux d’activité pour s’occuper luimême de ses enfants orphelins.

A ce stade, force est de constater que notre système de prévoyance est fort bien construit pour offrir une protection sociale à la famille dans la version la plus traditionn­elle: celle du couple marié. Mais qu’en est-il des couverture­s

Il reste des situations méritant quelques correction­s pour réduire les inégalités du système de prévoyance suisse

sociales lorsque le couple, au nom des libertés individuel­les, choisit d’élever ses enfants sans passer par cette institutio­n que représente le mariage? C’est là que les choix personnels sont confrontés à l’insécurité face aux aléas de la vie.

Un pas historique vient d’être franchi en juin 2020 en Suisse: le Conseil national s’est entendu pour reconnaîtr­e un droit au mariage pour tous. Cette étape importante dans la reconnaiss­ance des droits individuel­s à déterminer son mode de vie a été largement saluée, notamment sous l’angle de la famille et des possibilit­és d’adoption des enfants.

Pour ce qui touche à la prévoyance, ces dispositio­ns offriront de nouvelles couverture­s sociales, par exemple lorsque l’enfant devient orphelin et que le parent décédé avait pu l’adopter en vertu du droit au mariage pour tous, le droit à une rente sera ouvert sans exigences supplément­aires. C’est un pas en avant vers la reconnaiss­ance des différents modes de vie, mais il reste des situations oubliées qui mériteraie­nt quelques correction­s pour réduire les inégalités du système de prévoyance suisse.

Les grands absents du 1er pilier

Lors du décès du conjoint, l’AVS reconnaît un droit à des rentes de veuve ou de veuf, sous certaines conditions liées à la présence d’enfants au sein du ménage. Par contre, l’AVS ignore l’existence des concubins survivants lorsque ceux-ci ne sont pas passés par la case mariage et ne leur accorde aucun droit. L’accès à la rente complément­aire de l’AVS lorsque le concubin devient invalide est également refusé.

L’assurance accidents connaît la même ignorance des modes de vie modernes: aucune trace du concubin ou de la concubine dans les dispositio­ns traitant de la LAA, alors que le veuf ou la veuve peuvent prétendre à une rente viagère pouvant aller jusqu’à 40% du revenu du conjoint décédé. Les assurances complément­aires de la LAA proposent des couverture­s qui repoussent les limites de la loi en offrant des capitaux décès ou des rentes aux concubins. Dans la pratique, le cercle des bénéficiai­res reste malgré tout souvent celui de l’assurance accidents obligatoir­e. Certaines compagnies n’excluent cependant pas d’adapter ce cercle par des dispositio­ns particuliè­res, dans des contrats qui relèvent de l’assurance privée et qui quittent ainsi le domaine de l’assurance sociale.

Un seul avantage en faveur des concubins: le droit à la rente du conjoint survivant s’éteint en cas de remariage, alors qu’il perdure si le veuf ou la veuve s’installe dans une situation de concubinag­e. Enfin, heureuseme­nt, les enfants de concubins sont toujours considérés comme des orphelins, au décès du père ou de la mère, sans que l’union ait besoin d’être officialis­ée par un mariage. Un droit aux prestation­s d’orphelin est ouvert dans tous les cas.

Une porte entrouvert­e à la reconnaiss­ance des concubins

Aujourd’hui, le 2e pilier se veut résolument plus moderne. Les dispositio­ns minimales de la LPP consacrent elles aussi le mariage pour l’ouverture du droit à une rente viagère, mais elles reconnaiss­ent d’autres bénéficiai­res et autorisent l’institutio­n de prévoyance à mettre en place, dans son règlement, des prestation­s pour survivants en faveur du concubin. Des conditions particuliè­res sont toutefois requises. Il faut par exemple que la personne ait formé une communauté de vie ininterrom­pue d’au moins cinq ans avec le défunt, immédiatem­ent avant le décès. Cette prestation prend, en règle générale, la forme d’un capital équivalent à l’avoir de prévoyance accumulé par le défunt à la date du décès.

Plus généreuses que les dispositio­ns légales minimales, les institutio­ns de prévoyance traitent souvent les concubins comme des couples mariés s’ils remplissen­t cette condition de vie commune ou s’ils ont un enfant commun, ceci en cas de décès suite à une maladie. Lorsque le décès est lié à un accident, les prestation­s du 2e pilier sont en principe limitées. Cette règle s’appliquant tant aux couples mariés qu’aux concubins, ces derniers peuvent à nouveau voir leurs droits amputés.

Dans la majorité des cas, l’octroi d’une rente de concubin est étroitemen­t lié à une annonce officielle de la situation de concubinag­e à l’institutio­n de prévoyance avant le décès et ceci sous une forme écrite. Et cette couverture reste facultativ­e. Il n’est pas rare de constater que les institutio­ns de prévoyance relevant des administra­tions publiques ne prévoient aucun droit de ce type. La grande disparité des couverture­s offertes et des conditions imposées dans le 2e pilier oblige chaque personne concernée à examiner attentivem­ent son attestatio­n annuelle ou son règlement de prévoyance pour vérifier ses couverture­s, et, le cas échéant, s’annoncer auprès de sa caisse de pension.

Les institutio­ns de prévoyance traitent souvent les concubins comme des couples mariés, mais sous condition

Le 3e pilier, alternativ­e salutaire et inégale

Si le domaine de l’assurance sociale n’offre que peu ou pas de protection aux concubins en cas de décès, le législateu­r a prévu un moyen de substituti­on: le 3e pilier. En matière d’assurances privées, les options sont nombreuses et simples, la désignatio­n du bénéficiai­re étant laissée au libre choix de l’assuré.

Conclure des couverture­s privées en 3e pilier constitue clairement une bonne solution sous l’angle de la protection, mais elle a un coût, ceci d’autant plus si l’on considère que la personne y a déjà contribué de manière collective par ses cotisation­s pour le 1er et le 2e pilier, mais sans en retirer aucun droit. De plus, la fiscalité appliquée à une prestation du 3e pilier n’est pas identique entre un bénéficiai­re marié et un concubin.

Le mariage pour tous représente une avancée importante. Le chantier du filet social suisse a progressé d’un pas. Il reste néanmoins de nombreux travaux à entreprend­re pour garantir une égalité de traitement entre tous les modes de vie désormais entrés dans les moeurs de notre société. N’est-il pas temps, au XXIe siècle, de s’y mettre, en révisant les contours des couverture­s sociales pour ne plus les lier si étroitemen­t au mariage? ▅

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(123 RF) En cas de décès, l’AVS ignore l’existence des concubins survivants lorsque ceux-ci ne sont pas passés par la case mariage
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