Huawei doit apprendre à vivre sans Google
Le groupe chinois, frappé par des sanctions américaines, commercialise depuis ce printemps en Suisse un smartphone sans aucun service de Google. Pour son responsable national, les solutions alternatives trouvées par Huawei vont séduire le consommateur
Est-il possible de vivre sans Google? Cette question, le groupe chinois Huawei se la pose depuis l’année passée, lorsque les premières sanctions commerciales américaines commençaient à le frapper. Cette interrogation est aussi celle du consommateur suisse: actuellement, le smartphone haut de gamme P40 de Huawei est vendu sans aucun service de Google et uniquement avec une version libre et édulcorée du système Android. Pas de magasin d’applications Play Store, pas d’app pour YouTube, Gmail, Maps ou encore GDrive. Il est uniquement possible d’accéder à ces services via le navigateur web – ce qui est peu pratique et n’offre aucune interaction entre les apps.
Pour un appareil vendu 999 francs par Sunrise, le client peut hésiter. C’est pour tenter de dissiper ces doutes que la firme chinoise lance une campagne de communication, en s’adjoignant notamment les services de son ambassadrice Christa Rigozzi, Miss Suisse 2006. Ce jeudi, c’est en sa compagnie que Steven Huang, directeur de Huawei pour la Suisse, reçoit les médias dans un palace de Lausanne. Quelques heures avant, Le Temps s’est entretenu avec lui pour évoquer les sanctions qui frappent sa société. Accusée par Washington de collusion avec le pouvoir chinois, Huawei ne peut plus utiliser les services de Google pour ses nouveaux téléphones.
«Nous travaillons étroitement avec des groupes suisses [...] pour rendre disponibles les principales apps helvétiques dans notre boutique»
Numéro trois en Suisse
Au niveau mondial, Huawei a talonné Samsung pour la place de numéro un sur le marché des smartphones au premier trimestre, avec 17,6% des ventes, contre 21,2% pour son rival sud-coréen et 14,3% pour Apple, selon la société de recherche Strategy Analytics.
En mai, Huawei est même passé devant Samsung, selon le cabinet de consultants Counterpoint Research. «En Suisse, notre position demeure extrêmement solide, affirme Steven Huang. Nous sommes numéro trois, derrière Samsung et Apple, avec 11% de parts de marché, selon le cabinet de recherche GFK. Il n’y a aucune raison pour que nous reculions en Suisse.»
Pourtant, le modèle haut de gamme P40 est l’une des premières victimes de l’embargo américain – Sunrise y a apposé, sur son site, l’avertissement «sans services Google Mobile». Swisscom ne compte pas proposer ce modèle pour le moment. La société chinoise a été contrainte de développer les Huawei Mobile Services (HMS), sa propre boutique d’applications.
«Notre modèle P40 est très attractif, poursuit Steven Huang. C’est un téléphone 5G puissant, doté d’un très bon capteur photo. Et n’oubliez pas qu’il tourne avec une version open source d’Android. Via le système HMS, nous avons créé un écosystème d’applications très utiles, que ce soit pour des services de stockage dans le cloud, les galeries d’images, pour écouter de la musique ou simplement pour surfer sur internet.» La société est aussi fière de proposer le logiciel Petal Search, système permettant tant de trouver des apps que d’effectuer des recherches sur internet, en partenariat avec le moteur de recherche européen Qwant.
Huawei conçoit donc ses propres apps pour remplacer celles de Google. «Nous travaillons aussi avec des entreprises suisses telles que UBS, les CFF, la Banque Migros et TX Group pour rendre disponibles les principales apps suisses dans notre boutique», promet le responsable de Huawei. Mais malgré les moyens déployés par le groupe, son magasin d’applications (environ 50000 programmes) n’est en rien comparable avec ceux de Google et d’Apple, qui proposent chacun plus de 2 millions de programmes.
Steven Huang le reconnaît: «Le but n’est pas forcément de se passer de Google, mais d’offrir au client le choix. Plus de 5000 ingénieurs travaillent dur pour développer notre nouvel écosystème et aider les créateurs d’apps. Nous demeurons l’un des leaders sur le marché. En avril, nous avons d’ailleurs été classé numéro un mondial. Nous ne sommes pas inquiets, nos clients non plus.»
L’énigme Harmony OS
Pas d’inquiétude en surface, donc, mais par prudence le groupe chinois développe depuis des mois son propre système d’exploitation pour mobile, baptisé Harmony OS. L’objectif, c’est d’imiter Apple, en concevant les téléphones, les applications et le système d’exploitation. Mais pour l’heure, Harmony OS n’a été déployé sur aucun smartphone. Il ne fonctionne que sur des téléviseurs. Et même si Huawei affirme qu’il peut le déployer rapidement, en cas de nécessité, sur des téléphones, la plupart des experts estiment que ce système n’est pas encore mûr – sans parler de la difficulté qu’il y aura à le faire accepter à des consommateurs occidentaux habitués au duopole constitué d’Android (Google) et d’iOS (Apple).
A noter que Steven Huang n’a pas souhaité s’exprimer sur la 5G, celle-ci n’étant pas sous sa supervision.
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