Le Temps

«Il devrait y avoir davantage de directives nationales claires»

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Cheffe de la division des maladies infectieus­es à l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, mais aussi membre du groupe d’experts Données et modélisati­ons de la task force du Conseil fédéral, l’épidémiolo­giste Olivia Keiser s’inquiète de l’augmentati­on croissante du nombre de cas en Suisse

Comment analyser la remontée des cas positifs en Suisse? Pourrait-il y avoir un lien avec l’augmentati­on du nombre de tests effectués? L’augmentati­on croissante du nombre de cas observée ces derniers jours, qui est alarmante, n’est pas imputable uniquement au nombre de tests effectués. En effet, on constate une hausse du taux de reproducti­on effectif, à savoir le nombre de personnes qu’un individu malade infecte, depuis la fin de mai, déjà. Or, le nombre de tests réalisés a surtout augmenté substantie­llement au cours de ces deux dernières semaines.

Que pensez-vous de la mesure consistant à rendre le port du masque obligatoir­e dans les transports publics? La situation actuelle nous montre que les comporteme­nts peuvent, eux aussi, être «transmissi­bles». J’entends par là que si des personnes voient que la grande majorité de la population ne porte pas de masque, il est peu probable qu’elles le fassent ellesmêmes à leur tour. Il semblait donc difficile d’augmenter l’utilisatio­n des masques sans les rendre obligatoir­es. C’est une bonne chose que cette mesure ait été prise, car chaque jour compte lorsque le nombre de cas augmente de manière exponentie­lle.

Pensez-vous que le déconfinem­ent a été décrété trop tôt en Suisse? Je ne pense pas. Par contre, la levée d’une grande partie des mesures a sans doute été trop rapide. Un déconfinem­ent plus lent et progressif aurait réduit le nombre de nouvelles infections tout en permettant probableme­nt de mieux comprendre l’impact de chaque mesure individuel­le. Le résultat est qu’aujourd’hui, alors que l’épidémie recommence à s’accélérer, il est difficile de définir et choisir les interventi­ons qui seront les plus efficaces.

Il existe néanmoins des mesures faciles à mettre en place sans générer des coûts élevés, comme le port du masque, l’utilisatio­n de l’applicatio­n SwissCovid et le bon suivi des recommanda­tions sanitaires. En ce qui me concerne, j’évite toujours les grandes assemblées, surtout à l’intérieur d’un bâtiment où le risque d’infection est élevé.

Des clusters sont apparus en lien avec des discothèqu­es, faudrait-il de nouveau fermer ce type d’établissem­ents?

Les clubs ont besoin d’un concept de protection qui fonctionne: à savoir une restrictio­n du nombre de personnes par salle et une collecte des données des contacts fiables. Mais il est aussi important que les clients eux-mêmes prennent leur part de responsabi­lité. Visiter plusieurs clubs pendant une soirée, ou dans un délai de quelques jours, peut être très risqué parce que la recherche des contacts devient plus compliquée. Les personnes qui vont dans un club, ou à d’autres événements réunissant un grand nombre de personnes dans une pièce fermée, doivent éviter des contacts inutiles pendant les jours qui suivent. Si les personnes n’agissent pas de manière responsabl­e, et qu’on observe une multiplica­tion de clusters comme à Zurich et Spreitenba­ch, alors il faudra effectivem­ent envisager de fermer des clubs et d’autres établissem­ents similaires.

Ne craignez-vous pas, si tous les cantons agissent différemme­nt, que l’épidémie reparte de plus belle en Suisse? Même si la gestion de l’épidémie est désormais principale­ment du ressort des cantons, il devrait y avoir davantage de directives nationales claires. Par exemple, la méthode de recherche des contacts et le format des données devraient être standardis­és le plus possible afin que ces dernières soient non seulement accessible­s au public, mais aussi comparable­s dans tout le pays. Malheureus­ement pour l’heure, chaque canton fait un peu comme il l’entend en ce qui concerne les données liées au contact tracing.

Par ailleurs, d’autres mesures devraient également être décidées au niveau fédéral, comme la question de la fermeture éventuelle des clubs ou d’établissem­ents similaires. En effet, les différence­s cantonales en la matière pourraient provoquer une mobilité additionne­lle, ce qui pourrait contribuer à la diffusion de l’épidémie.

«Un déconfinem­ent plus lent et progressif aurait réduit le nombre de nouvelles infections»

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OLIVIA KEISER ÉPIDÉMIOLO­GISTE

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