«Il devrait y avoir davantage de directives nationales claires»
Cheffe de la division des maladies infectieuses à l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, mais aussi membre du groupe d’experts Données et modélisations de la task force du Conseil fédéral, l’épidémiologiste Olivia Keiser s’inquiète de l’augmentation croissante du nombre de cas en Suisse
Comment analyser la remontée des cas positifs en Suisse? Pourrait-il y avoir un lien avec l’augmentation du nombre de tests effectués? L’augmentation croissante du nombre de cas observée ces derniers jours, qui est alarmante, n’est pas imputable uniquement au nombre de tests effectués. En effet, on constate une hausse du taux de reproduction effectif, à savoir le nombre de personnes qu’un individu malade infecte, depuis la fin de mai, déjà. Or, le nombre de tests réalisés a surtout augmenté substantiellement au cours de ces deux dernières semaines.
Que pensez-vous de la mesure consistant à rendre le port du masque obligatoire dans les transports publics? La situation actuelle nous montre que les comportements peuvent, eux aussi, être «transmissibles». J’entends par là que si des personnes voient que la grande majorité de la population ne porte pas de masque, il est peu probable qu’elles le fassent ellesmêmes à leur tour. Il semblait donc difficile d’augmenter l’utilisation des masques sans les rendre obligatoires. C’est une bonne chose que cette mesure ait été prise, car chaque jour compte lorsque le nombre de cas augmente de manière exponentielle.
Pensez-vous que le déconfinement a été décrété trop tôt en Suisse? Je ne pense pas. Par contre, la levée d’une grande partie des mesures a sans doute été trop rapide. Un déconfinement plus lent et progressif aurait réduit le nombre de nouvelles infections tout en permettant probablement de mieux comprendre l’impact de chaque mesure individuelle. Le résultat est qu’aujourd’hui, alors que l’épidémie recommence à s’accélérer, il est difficile de définir et choisir les interventions qui seront les plus efficaces.
Il existe néanmoins des mesures faciles à mettre en place sans générer des coûts élevés, comme le port du masque, l’utilisation de l’application SwissCovid et le bon suivi des recommandations sanitaires. En ce qui me concerne, j’évite toujours les grandes assemblées, surtout à l’intérieur d’un bâtiment où le risque d’infection est élevé.
Des clusters sont apparus en lien avec des discothèques, faudrait-il de nouveau fermer ce type d’établissements?
Les clubs ont besoin d’un concept de protection qui fonctionne: à savoir une restriction du nombre de personnes par salle et une collecte des données des contacts fiables. Mais il est aussi important que les clients eux-mêmes prennent leur part de responsabilité. Visiter plusieurs clubs pendant une soirée, ou dans un délai de quelques jours, peut être très risqué parce que la recherche des contacts devient plus compliquée. Les personnes qui vont dans un club, ou à d’autres événements réunissant un grand nombre de personnes dans une pièce fermée, doivent éviter des contacts inutiles pendant les jours qui suivent. Si les personnes n’agissent pas de manière responsable, et qu’on observe une multiplication de clusters comme à Zurich et Spreitenbach, alors il faudra effectivement envisager de fermer des clubs et d’autres établissements similaires.
Ne craignez-vous pas, si tous les cantons agissent différemment, que l’épidémie reparte de plus belle en Suisse? Même si la gestion de l’épidémie est désormais principalement du ressort des cantons, il devrait y avoir davantage de directives nationales claires. Par exemple, la méthode de recherche des contacts et le format des données devraient être standardisés le plus possible afin que ces dernières soient non seulement accessibles au public, mais aussi comparables dans tout le pays. Malheureusement pour l’heure, chaque canton fait un peu comme il l’entend en ce qui concerne les données liées au contact tracing.
Par ailleurs, d’autres mesures devraient également être décidées au niveau fédéral, comme la question de la fermeture éventuelle des clubs ou d’établissements similaires. En effet, les différences cantonales en la matière pourraient provoquer une mobilité additionnelle, ce qui pourrait contribuer à la diffusion de l’épidémie.
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«Un déconfinement plus lent et progressif aurait réduit le nombre de nouvelles infections»