Le Temps

Ils sont asymptomat­iques ou présymptom­atiques, mais ils transmette­nt le virus

Une nouvelle étude publiée dans la revue «PNAS» confirme le rôle important des personnes asymptomat­iques ou présymptom­atiques dans la propagatio­n de la pandémie

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Qu’en est-il de la transmissi­on du Covid-19 par des personnes asymptomat­iques, à savoir qui ne présentent pas du tout de symptômes de la maladie – et dont le nombre est estimé à 15%, voire jusqu’à 30% de la totalité des individus infectés selon une très récente étude espagnole parue dans The Lancet –, ou d’une possible infection par des malades présymptom­atiques, c’est-à-dire n’ayant pas encore éprouvé les premières manifestat­ions cliniques liées au nouveau coronaviru­s?

Alors que des clusters de cas réémergent en Europe, cette question prend toute son importance dans la gestion de l’épidémie. Or, du côté de l’Organisati­on mondiale de la santé, on semble encore minimiser le phénomène. Début juin, l’épidémiolo­giste Maria Van Kerkhove, responsabl­e technique de la réponse Covid-19 et cheffe de l’unité des maladies émergentes et des zoonoses à l’OMS, déclarait ainsi qu’il «était très rare que des personnes asymptomat­iques transmette­nt la maladie», avant de souligner que cette observatio­n était basée sur un nombre d’études relativeme­nt restreint.

Depuis, différents faisceaux de preuves tendent à confirmer l’importance de ce mode de transmissi­on dans l’évolution de la pandémie, comme le relève encore une étude parue le 6 juillet dans la revue Proceeding­s of the National Academy of Sciences (PNAS) et conduite par des scientifiq­ues canadiens et américains. «Nos résultats indiquent que la transmissi­on silencieus­e de la maladie aux stades présymptom­atique et asymptomat­ique est responsabl­e de plus de 50% du taux d’infections au sein de la pandémie de Covid-19», écrivent les auteurs. En clair: la moitié des nouvelles infections auraient lieu alors que les personnes infectées ne présentent pas du tout ou pas encore de symptômes.

Mode de transmissi­on redoutable

«Cette recherche, bien réalisée, corrobore les précédents travaux démontrant le poids très important des transmissi­ons pré- et asymptomat­iques», souligne Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. Qu’il s’agisse en effet d’études de terrain réalisées sur la base de tandems «infecteurs-infectés» et permettant d’analyser l’intervalle sériel (soit le temps écoulé entre le moment où les deux sujets développen­t leurs premiers symptômes), d’enquêtes sérologiqu­es ou de modélisati­ons mathématiq­ues, de nombreux travaux confirment la contagiosi­té des personnes asymptomat­iques, présymptom­atiques ou encore paucisympt­omatiques (c’est-à-dire présentant peu de symptômes du Covid-19).

La transmissi­on du virus par les asymptomat­iques s’avère par ailleurs particuliè­rement redoutable, notamment de par la difficulté à identifier puis isoler les personnes touchées. «Les retards ou les omissions dans la recherche des contacts augmentent le risque de transmissi­on ultérieure, d’autant plus que ceux qui ne présentent aucun symptôme ne sont généraleme­nt pas conscients du risque d’infection pour les autres et sont donc moins susceptibl­es de réduire d’eux-mêmes leurs interactio­ns sociales», appuient les scientifiq­ues dans PNAS.

«C’est la raison pour laquelle il faut encourager le port du masque de manière très large, dans les transports publics mais aussi dans tous les lieux clos réunissant de nombreuses personnes, explique Antoine Flahault. Il est aussi important de promouvoir le contact tracing afin de pouvoir isoler rapidement les personnes séropositi­ves au Covid-19, mais aussi celles qu’elles ont côtoyées. Par contre, cela ne justifie pas, selon moi, un changement de politique quant aux tests de dépistage, qui doivent être réservés aux personnes symptomati­ques, au moins tant qu’on ne dispose pas de tests salivaires reconnus comme fiables, que l’on peut répéter plus aisément.»

A la recherche du consensus

Reste une question: face à ces évidences, pourquoi donc l’Organisati­on mondiale de la santé semble-t-elle encore camper sur ses positions? «Que cela soit pour la question de la transmissi­on du Covid-19 par les aérosols, dont les preuves tendent, elles aussi, à s’accumuler, ou la proportion d’asymptomat­iques, l’OMS a adopté une position conservatr­ice, dans une volonté d’afficher un consensus scientifiq­ue», analyse Mircea Sofonea, maître de conférence­s en épidémiolo­gie et évolution des maladies infectieus­es à l’Université de Montpellie­r.

On peut tout de même se demander pourquoi l’institutio­n onusienne n’ajuste pas ses mesures pour coller au principe de précaution. «Tout comme pour les aérosols, il est important d’obtenir une quantifica­tion robuste de la contributi­on des cas pré- ou asymptomat­iques dans la transmissi­on de la maladie, ajoute Mircea Sofonea. Même si on ne prévoit pas de rebond à court terme en Europe, il ne faut pas oublier que la pandémie est toujours en croissance, en particulie­r dans les pays du Sud. Certains systèmes de santé peu préparés ne pourraient probableme­nt pas adapter leurs mesures à la même vitesse que l’évolution des connaissan­ces autour de la maladie, qui nécessiter­aient notamment une réorganisa­tion hospitaliè­re et une gestion drastique du nombre de personnes présentes dans des lieux clos. Dans ce sens, il est possible que l’OMS attende avant de formuler des recommanda­tions claires plutôt que d’évoquer des suggestion­s ambiguës, afin d’éviter de susciter de l’inquiétude voire une panique contre-productive­s.»

«Il faut encourager le port du masque de manière très large, dans les transports publics mais aussi dans tous les lieux clos réunissant de nombreuses personnes» ANTOINE FLAHAULT, DIRECTEUR DE L’INSTITUT DE SANTÉ GLOBALE

À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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(FABRIZIO VILLA/GETTY IMAGES) Une équipe médicale italienne prodigue des soins à une patiente âgée de 97 ans.

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