Maires de toutes les batailles
Et si l’alternance politique n’était plus à chercher dans les travées des parlements mais dans les couloirs des mairies? En Pologne, un homme l’espère de tout coeur. Dimanche, lors du second tour de l’élection présidentielle, le maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowski, affrontera Andrzej Duda et, derrière lui, le parti ultra-conservateur Droit et justice qui détient désormais tous les leviers du pouvoir: présidence, gouvernement, parlement, mais aussi une justice et des médias publics mis au pas.
Rafal Trzaskowski est loin d’être un cas unique. De Budapest à São Paulo, en passant par Istanbul, la vitrine d’une métropole permet de faire entendre sa différence quand l’opposition parlementaire peine à contrer des dirigeants autoritaires. Alors qu’une polarisation croissante au plan national empêche de débattre sur la base de faits, le principal atout de Mme ou M. le maire tient à l’aspect très concret de leur mandat. Les déclarations tonitruantes contre tel ou tel groupe ne rencontrent ici qu’un écho limité. A l’échelon local, c’est l’efficacité de la gestion qui prime: pour juger du bilan d’un maire, il suffit de sortir dans la rue. Le contrôle du budget municipal et des projets qu’il finance représente ainsi un levier politique autant qu’économique. En perdant Istanbul, Recep Tayyip Erdogan – ancien maire de la mégapole – a vu s’étioler un réseau qui avait contribué à son ascension.
A mesure que l’humanité s’urbanise, les villes deviennent aussi les laboratoires des grands défis que sont la protection de l’environnement ou la gestion des pandémies. Face à l’incurie de Jair Bolsonaro – rattrapé par le virus jusque dans sa propre chair – le maire de São Paulo, Bruno Covas, s’est insurgé afin d’éviter la saturation des soins intensifs. A New York, son homologue, Bill de Blasio, s’est aussi illustré face à un président sous-estimant la gravité de la crise sanitaire.
Les villes sont enfin les laboratoires de la coexistence. Elles rassemblent plus de jeunesse et de diversité. Elles entretiennent un rapport différent avec l’espace, reposant moins sur l’aspect limitatif des frontières nationales que sur la recherche d’une complémentarité avec leurs alentours. A ce titre, les femmes et les hommes qui les gèrent livrent bataille pour porter un message aux antipodes de l’exclusion et de la stigmatisation qui font recette chez tant de chefs d’Etat et de gouvernement.
Les villes sont les laboratoires de la coexistence
Fils d’un célèbre musicien de jazz, spécialiste en relations internationales et député européen qui garde un lien fort avec Bruxelles, le maire de Varsovie redonne l’espoir à l’opposition libérale
Le maire centriste de Varsovie Rafal Trzaskowski – sourire chaleureux, petite barbe et un look jeune à 48 ans – semble parfois trop poli et gentil dans la bataille sans merci pour la présidence polonaise qui l’oppose au chef de l’Etat sortant Andrzej Duda.
C’est désormais cette image d’enfant chéri des salons de la capitale, volontiers entretenue par ses adversaires politiques, qu’il cherche à bousculer pour gagner des voix qui lui manquent dans les petites villes et les villages.
Oxford et Paris
Fils d’un célèbre musicien de jazz, volontaire, alors qu’il est encore lycéen, au syndicat Solidarnosc, il fait des études en relations internationales, obtient des bourses à Oxford et à Paris, puis prend le chemin de Bruxelles, soutient une thèse sur les mécanismes de prise de décision à l’UE et se retrouve député européen en 2009.
Il entame ensuite une carrière ministérielle à Varsovie, d’abord à l’Administration et au Numérique, puis comme vicechef de la diplomatie, chargé des affaires européennes.
Le vent tourne en 2015, avec l’arrivée au pouvoir du parti Droit et justice (PiS), nationaliste et eurosceptique. Trzaskowski est élu député et prend des responsabilités au sein du parti centriste libéral Plateforme civique (PO), désormais dans l’opposition et accusé de tous les maux par le pouvoir.
Droits des minorités sexuelles
La Pologne est coupée en deux, le PiS, à qui on reproche des tendances autoritaires, domine la scène grâce à de généreux transferts sociaux. C’est dans ce climat que Trzaskowski remporte la mairie de Varsovie en 2018. Dans cette fonction, il signe une «déclaration LGBT» destinée à protéger les droits des minorités sexuelles, ce qui lui vaut d’acerbes critiques des conservateurs.
Au printemps 2020, sa candidature à la présidence redonne l’espoir à l’opposition libérale. Trzaskowski choisit un ton conciliateur, assure qu’il veut collaborer avec le gouvernement PiS, en place pour trois ans encore, «tout en le surveillant de près». Il ne renonce pas pour autant à ses convictions: croyant, il n’envoie pourtant pas ses enfants au catéchisme, portant un jugement critique sur l’Eglise catholique, toujours influente en Pologne.
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