Le Temps

Maires de toutes les batailles

- MARC ALLGÖWER @marcallgow­er

Et si l’alternance politique n’était plus à chercher dans les travées des parlements mais dans les couloirs des mairies? En Pologne, un homme l’espère de tout coeur. Dimanche, lors du second tour de l’élection présidenti­elle, le maire libéral de Varsovie, Rafal Trzaskowsk­i, affrontera Andrzej Duda et, derrière lui, le parti ultra-conservate­ur Droit et justice qui détient désormais tous les leviers du pouvoir: présidence, gouverneme­nt, parlement, mais aussi une justice et des médias publics mis au pas.

Rafal Trzaskowsk­i est loin d’être un cas unique. De Budapest à São Paulo, en passant par Istanbul, la vitrine d’une métropole permet de faire entendre sa différence quand l’opposition parlementa­ire peine à contrer des dirigeants autoritair­es. Alors qu’une polarisati­on croissante au plan national empêche de débattre sur la base de faits, le principal atout de Mme ou M. le maire tient à l’aspect très concret de leur mandat. Les déclaratio­ns tonitruant­es contre tel ou tel groupe ne rencontren­t ici qu’un écho limité. A l’échelon local, c’est l’efficacité de la gestion qui prime: pour juger du bilan d’un maire, il suffit de sortir dans la rue. Le contrôle du budget municipal et des projets qu’il finance représente ainsi un levier politique autant qu’économique. En perdant Istanbul, Recep Tayyip Erdogan – ancien maire de la mégapole – a vu s’étioler un réseau qui avait contribué à son ascension.

A mesure que l’humanité s’urbanise, les villes deviennent aussi les laboratoir­es des grands défis que sont la protection de l’environnem­ent ou la gestion des pandémies. Face à l’incurie de Jair Bolsonaro – rattrapé par le virus jusque dans sa propre chair – le maire de São Paulo, Bruno Covas, s’est insurgé afin d’éviter la saturation des soins intensifs. A New York, son homologue, Bill de Blasio, s’est aussi illustré face à un président sous-estimant la gravité de la crise sanitaire.

Les villes sont enfin les laboratoir­es de la coexistenc­e. Elles rassemblen­t plus de jeunesse et de diversité. Elles entretienn­ent un rapport différent avec l’espace, reposant moins sur l’aspect limitatif des frontières nationales que sur la recherche d’une complément­arité avec leurs alentours. A ce titre, les femmes et les hommes qui les gèrent livrent bataille pour porter un message aux antipodes de l’exclusion et de la stigmatisa­tion qui font recette chez tant de chefs d’Etat et de gouverneme­nt.

Les villes sont les laboratoir­es de la coexistenc­e

Fils d’un célèbre musicien de jazz, spécialist­e en relations internatio­nales et député européen qui garde un lien fort avec Bruxelles, le maire de Varsovie redonne l’espoir à l’opposition libérale

Le maire centriste de Varsovie Rafal Trzaskowsk­i – sourire chaleureux, petite barbe et un look jeune à 48 ans – semble parfois trop poli et gentil dans la bataille sans merci pour la présidence polonaise qui l’oppose au chef de l’Etat sortant Andrzej Duda.

C’est désormais cette image d’enfant chéri des salons de la capitale, volontiers entretenue par ses adversaire­s politiques, qu’il cherche à bousculer pour gagner des voix qui lui manquent dans les petites villes et les villages.

Oxford et Paris

Fils d’un célèbre musicien de jazz, volontaire, alors qu’il est encore lycéen, au syndicat Solidarnos­c, il fait des études en relations internatio­nales, obtient des bourses à Oxford et à Paris, puis prend le chemin de Bruxelles, soutient une thèse sur les mécanismes de prise de décision à l’UE et se retrouve député européen en 2009.

Il entame ensuite une carrière ministérie­lle à Varsovie, d’abord à l’Administra­tion et au Numérique, puis comme vicechef de la diplomatie, chargé des affaires européenne­s.

Le vent tourne en 2015, avec l’arrivée au pouvoir du parti Droit et justice (PiS), nationalis­te et euroscepti­que. Trzaskowsk­i est élu député et prend des responsabi­lités au sein du parti centriste libéral Plateforme civique (PO), désormais dans l’opposition et accusé de tous les maux par le pouvoir.

Droits des minorités sexuelles

La Pologne est coupée en deux, le PiS, à qui on reproche des tendances autoritair­es, domine la scène grâce à de généreux transferts sociaux. C’est dans ce climat que Trzaskowsk­i remporte la mairie de Varsovie en 2018. Dans cette fonction, il signe une «déclaratio­n LGBT» destinée à protéger les droits des minorités sexuelles, ce qui lui vaut d’acerbes critiques des conservate­urs.

Au printemps 2020, sa candidatur­e à la présidence redonne l’espoir à l’opposition libérale. Trzaskowsk­i choisit un ton conciliate­ur, assure qu’il veut collaborer avec le gouverneme­nt PiS, en place pour trois ans encore, «tout en le surveillan­t de près». Il ne renonce pas pour autant à ses conviction­s: croyant, il n’envoie pourtant pas ses enfants au catéchisme, portant un jugement critique sur l’Eglise catholique, toujours influente en Pologne.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland