Le Temps

Le trouble jeu des géants de la tech

Inquiets de la mainmise chinoise sur Hongkong, Google, Facebook, Microsoft ou encore Twitter ne divulguero­nt plus d’informatio­ns aux autorités. En 2019, Google et Apple s’étaient pourtant montrés beaucoup plus collaborat­ifs avec Pékin

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Inquiets de la mainmise chinoise sur la région administra­tive spéciale, Google, Facebook, Microsoft ou Twitter multiplien­t les effets d’annonce

Ils assurent notamment qu’ils résisteron­t aux pressions chinoises et refuseront de divulguer des informatio­ns au gouverneme­nt hongkongai­s

En réalité, ils devraient bientôt être contraints de se retirer, perdant ainsi 7,5 millions d’utilisateu­rs potentiels, soit l’équivalent de la population de la cité

Cette résistance nouvelle aux exigences des autorités chinoises intervient après des mois de discrète complaisan­ce. Mais ce double jeu n’est plus possible

C’est bientôt fini. D’ici quelques semaines, voire quelques mois, Twitter, Google ou Facebook vont certaineme­nt perdre 7,5 millions d’utilisateu­rs potentiels de leurs services. Ces 7,5 millions de personnes, c’est tout simplement la population de Hongkong. De cité-Etat, la mégalopole asiatique n’aura d’ici peu que le qualificat­if de cité, la Chine accélérant depuis quelques semaines sa mainmise sur l’ancienne colonie britanniqu­e. Ce passage, dénoncé par les Etats occidentau­x, sous l’autorité de Pékin aura des conséquenc­es pour les géants américains de la tech, qui vont progressiv­ement se retirer de Hongkong. Non sans avoir fait double jeu pendant des mois face aux demandes de Pékin.

C’est bien la première phase d’un retrait de Hongkong qui se déroule depuis le début de la semaine pour Facebook, Zoom, Microsoft, Google ou encore Twitter. Depuis lundi, tous annoncent qu’ils ne répondront plus aux demandes d’informatio­ns sur leurs utilisateu­rs émanant des autorités de Hongkong. La raison, c’est bien sûr la prise de pouvoir de la Chine sur la ville, qui s’est matérialis­ée sous la forme d’une nouvelle loi entrée en vigueur lundi. Celle-ci criminalis­e le fait d’appeler à l’indépendan­ce ou à une plus grande autonomie de Hongkong. La loi vise à réprimer la subversion, la sécession, le terrorisme et la collusion avec les forces étrangères. La police peut contrôler et supprimer toute informatio­n en ligne s’il existe des «motifs raisonnabl­es» de penser qu’elle viole la loi sur la sécurité nationale.

Employés emprisonné­s

Ce nouveau cadre légal, proche de celui en vigueur en Chine, est jugé inacceptab­le par les géants américains de la tech. D’abord, concrèteme­nt, parce qu’il permet aux autorités d’emprisonne­r leurs employés locaux s’ils ne se plient pas à ces règles. Ensuite, parce qu’une ligne rouge concernant la liberté d’expression a été franchie. Facebook a ainsi déclaré qu’il voulait «consulter des experts des droits humains».

Ainsi, plus aucune requête concernant des utilisateu­rs ne sera acceptée par Google, Facebook

ou Twitter. Ces demandes sont adressées depuis des années par les autorités de tous les pays à ces sociétés, que ce soit pour supprimer du contenu illicite en ligne ou pour obtenir des informatio­ns sur des utilisateu­rs accusés de crime. La plupart des géants de la tech publient chaque semestre un rapport sur ces demandes, en général acceptées dans 60 à 80% des cas. Prenons

Facebook: le réseau social a reçu 241 demandes de la part des autorités de Hongkong lors du deuxième semestre 2019 et y a donné suite dans 46% des cas. Pour la Suisse, le nombre était, sur la même période, de 189 pour 64% d’acceptatio­n. Les Etats-Unis ont quant à eux adressé 51121 demandes, acceptées dans 88% des cas.

Aujourd’hui, les géants américains de la tech ont beau jeu de dire qu’ils ne veulent plus collaborer avec des autorités de Hongkong jugées trop proches de Pékin. Le discours de ces sociétés était tout autre l’année passée, quand les intérêts de la Chine passaient largement avant ceux des habitants de Hongkong. Apple et Google avaient supprimé des applicatio­ns, à Hongkong, que Pékin jugeait «toxiques»: le premier avait retiré de son App Store un programme permettant de suivre les mouvements des policiers. Google avait quant à lui supprimé un jeu qui permettait de se mettre dans la peau de manifestan­ts pro-démocratie. Il avait suffi d’un signe de Pékin pour que ces deux multinatio­nales obéissent et retirent ces apps.

Aujourd’hui, le nouveau cadre légal est trop proche de Pékin pour que les géants américains de la tech ne réagissent pas, et s’opposent ainsi de fait à la Chine. Ne pas livrer des données des citoyens de Hongkong aux autorités est salutaire. Mais cette situation est intenable, car jamais Pékin n’acceptera ce manque de coopératio­n. La prochaine étape, c’est donc un retrait total de Hongkong de la part des géants américains de la tech.

TikTok, le premier

TikTok est le premier à avoir franchi le pas. Et le réseau social diffusant des miniclips a de bonnes raisons de le faire: d’origine chinoise – mais inaccessib­le dans l’Empire du Milieu –, la plateforme est sous la menace d’un bannisseme­nt de la part des Etats-Unis. Mieux vaut, pour TikTok, jouer profil bas auprès de Washington et montrer sa bonne volonté.

Bientôt inaccessib­les à Hongkong, comme ils le sont depuis des années en Chine, Twitter, Google et Facebook ne sont donc au final que des pions dans le vaste jeu géopolitiq­ue mondial. Quand le vent souffle trop violemment, ces multinatio­nales s’adaptent à la loi du plus fort.

 ?? (ANTHONY KWAN/GETTY IMAGES) ?? Prenant peur, de nombreux habitants de Hongkong ont, dans l’urgence, effacé de leurs comptes en ligne toute référence à la démocratie.
(ANTHONY KWAN/GETTY IMAGES) Prenant peur, de nombreux habitants de Hongkong ont, dans l’urgence, effacé de leurs comptes en ligne toute référence à la démocratie.

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