Le Temps

Le «Canis lupus» fait perdre son latin à l’Etat du Valais

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Les Valaisans devront se prononcer sur l’initiative «Pour un canton du Valais sans grands prédateurs». Le hic, c’est que les communiqué­s de presse présentant le texte de l’article qui doit être introduit dans la Constituti­on cantonale (si le peuple donne son aval) ne disaient pas tout à fait la même chose en français et en allemand.

Une erreur de traduction concernant l’initiative «Pour un canton du Valais sans grands prédateurs», lui donnant des significat­ions différente­s en français et en allemand, se révèle en fait être une erreur de transmissi­on de documents. Récit d’une histoire cocasse

Les Haut-Valaisans et les Bas-Valaisans se prononcero­nt-ils sur un texte différent lors de la même votation cantonale? La semaine dernière, le Conseil d’Etat a invité le parlement à soumettre au vote populaire l’initiative «Pour un canton du Valais sans grands prédateurs», tout en recommanda­nt l’acceptatio­n de ce texte. Le hic, c’est que dans ses communiqué­s de presse, l’article qui doit être introduit dans la Constituti­on cantonale, si le peuple donne son aval, diffère qu’il soit en français ou en allemand.

Comme le révélait Le Nouvellist­e, dans la langue de Goethe, la modificati­on du texte fondateur du canton stipule que «l’Etat élabore des prescripti­ons relatives à la protection contre les grands prédateurs…», alors que dans celle de Molière, il est proposé d’ajouter que «l’Etat élabore des prescripti­ons contre les grands prédateurs…». «En caricatura­nt au maximum, en allemand, on se dit que l’Etat va pouvoir proposer des chiens pour garder les troupeaux alors qu’en français, on imagine le canton en train de lustrer les fusils», écrit le quotidien valaisan.

Aucune différence au Bulletin officiel

Ce sont donc ces deux versions différente­s de l’initiative que le Conseil d’Etat avait entre les mains au moment de se prononcer sur cet objet, comme Jacques Melly, le chef du Départemen­t cantonal de la mobilité, du territoire et de l’environnem­ent (DMTE), l’a expliqué à nos confrères du Nouvellist­e. Pourtant, ces dissemblan­ces n’existent pas dans le texte publié le 11 octobre dernier au Bulletin officiel. En français, il y est bel et bien écrit que «l’Etat édicte des prescripti­ons relatives à la protection contre les grands prédateurs…»

Alors comment se fait-il que le gouverneme­nt valaisan n’ait pas eu entre les mains la bonne version de l’initiative? En septembre 2019, lors de l’examen préalable par le Grand Conseil, pour juger de la recevabili­té de l’objet, des modificati­ons ont été apportées au texte. «Après ces travaux, les documents sont revenus au DMTE. Nous utilisons une plateforme électroniq­ue pour réaliser ces échanges. Il y a eu une erreur lors de la transmissi­on. L’ancien texte a été transféré et l’administra­tion cantonale tout comme le Conseil d’Etat ont travaillé sur ce texte, en français, qui est faux», détaille Philipp Spoerri, le chancelier d’Etat.

La communicat­ion erronée réalisée la semaine dernière découle donc de cette erreur de transmissi­on. «Nous avons repris les documents que nous utilisions à l’interne pour réaliser les communiqué­s de presse, ce qui explique les erreurs», résume Philipp Spoerri. Le chancelier d’Etat précise toutefois que le texte qui sera soumis au peuple est celui qui a été publié dans le Bulletin officiel et donc qu’aucune différence d’interpréta­tion ne sera possible. «Pour les gens qui voteront, le texte est clair. Il n’y aura eu des conséquenc­es que dans la communicat­ion du Conseil d’Etat. Juridiquem­ent, il n’y en a aucune», appuie Philipp Spoerri.

«C’est de l’amateurism­e»

Cette mésaventur­e ne fait pas sourire Barbara Lanthemann, députée et présidente du Parti socialiste du Valais romand. «C’est de l’amateurism­e, tonne-t-elle. J’espère sincèremen­t que c’était une simple erreur. Car, si on est méchant, on peut se demander si ce n’est pas fait de manière volontaire pour rallier plus de gens derrière cette initiative.»

Le Conseil d’Etat rappelle qu’une acceptatio­n du texte «ne changera pas fondamenta­lement la situation actuelle et future dans le canton pour les grands prédateurs». La législatio­n en vigueur et celle qui pourrait l’être en cas d’acceptatio­n de la révision de la loi fédérale sur la chasse «remplissen­t déjà largement les exigences de l’initiative». Mais soumettre ce texte à votation permettra de connaître l’avis de la population valaisanne sur les grands prédateurs. Un sujet qui ne cesse de faire débat dans le canton.

Une controvers­e relancée

Un message, posté ce lundi sur les réseaux sociaux par le Groupe Loup Suisse, a d’ailleurs relancé la controvers­e. L’organisati­on avertit qu’elle a été informée «que des tirs de braconnage dirigés contre des loups étaient en préparatio­n» dans le val d’Entremont et demande de «rapporter toute présence ou faits suspects».

Cette publicatio­n a fait sortir de ses gonds le député UDC Grégory Logean. Sur les ondes de Rhône FM, le coprésiden­t du groupe chasse du parlement valaisan déclare qu’il «n’y a aucun élément factuel qui va dans le sens des éléments soulevés par le Groupe Loup Suisse». «C’est un appel à la haine gratuit contre le Valais, contre les population­s de montagne et le monde de la chasse. On ne peut plus laisser passer de telles attaques», appuie-t-il, y voyant un artifice électoral en vue de la votation du mois de septembre sur la révision de la loi fédérale sur la chasse.

Chargé d’affaires de Pro Natura Valais, Jérémy Savioz a pris la balle au bond sur les réseaux sociaux, soulignant qu’il n’y a également «aucun élément factuel sur des loups prétendume­nt hybrides et relâchés… Sauf que pour le braconnage, il y a des preuves.» Le débat sur le loup est loin d’être terminé en Valais. La votation cantonale, dont la date doit encore être précisée, permettra peutêtre de l’apaiser.

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