Le Temps

En Afrique du Sud, controvers­e autour d’un vaccin

- VALÉRIE HIRSCH, JOHANNESBU­RG @valeriehir­sch

Le premier essai vaccinal sur le continent africain a débuté, non sans susciter des polémiques

«Nous ne sommes pas des cobayes!» ont chanté une vingtaine d’étudiants, qui ont brûlé leurs masques, le 1er juillet devant l’Université Wits à Johannesbu­rg, en signe de protestati­on contre le premier essai d’un vaccin contre le Covid-19 en Afrique. «Les participan­ts enrôlés pour l’essai sont des pauvres, qui sont manipulés, s’exclame l’organisatr­ice Phapano Phasha. Qu’ils testent d’abord le vaccin chez eux!» L’annonce du démarrage de l’essai clinique, le 24 juin, a entraîné un flot de critiques sur la blogosphèr­e en Afrique.

Développé par l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, le vaccin est testé par l’Université Wits dans trois lieux tenus secrets, par peur d’incidents. Dix-huit participan­ts ont reçu leur première dose dans une petite clinique de Soweto, ouverte à la presse pour l’occasion. «J’ai un peu peur, mais je veux pouvoir dire à mes amis comment se déroule l’étude», explique Junior Mhlongo, l’un des volontaire­s, sélectionn­és parmi 2000 bénévoles.

Moulin à rumeurs

Déjà administré à 4000 personnes en Grande-Bretagne, le prototype est l’un des plus avancés parmi dix vaccins testés sur des humains dans le monde. Au total, quelque 40000 cobayes seront enrôlés, y compris aux Etats-Unis et au Brésil. «Les vaccins n’agissent pas de la même manière dans différente­s régions du monde, explique le virologue Shabir Madhi de Wits. Il est donc essentiel de vérifier son efficacité en Afrique.»

«Vous nous prévenez s’il y a des effets secondaire­s», dit l’infirmière à Junior Mhlongo. Ce vaccin inactivé devrait lui permettre de développer des anticorps et de ne pas tomber malade du Covid-19 en cas d’infection. Au total, 2000 Sud-Africains vont participer à l’étude, dont 50 séropositi­fs. Si les essais sont concluants, le vaccin permettra, d’ici un an au mieux, de protéger les personnes à risque et de peut-être mettre fin à l’épidémie, en immunisant plus de 60% de la population.

«En général, les Africains sont favorables aux vaccins. Dans ce cas, le moulin à rumeurs a fonctionné à plein», note Serth Berkley, directeur de l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisati­on (GAVI), qui finance la vaccinatio­n dans les pays en développem­ent. La Fondation Bill & Melinda Gates, qui finance l’essai en Afrique du Sud, est ainsi accusée par le leader noir extrémiste américain Louis Farrakhan de vouloir «dépeupler la Terre» et par son compatriot­e, le rappeur Ice Cube, «d’injecter une puce électroniq­ue» dans ses vaccins pour pouvoir suivre les gens. Une autre fausse informatio­n a aussi circulé sur la mort de sept enfants au Sénégal, après avoir reçu un vaccin contre le Covid-19.

«L’Afrique n’est pas un laboratoir­e»

La polémique a surtout été avivée par les propos tenus en avril par un professeur français, interrogé en direct sur des tests concernant l’efficacité du vaccin BCG contre le Covid-19. Jean-Paul Mira, de l’hôpital Cochin à Paris, avait suggéré de faire l’étude «en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimatio­n». Cette remarque avait suscité un tollé. «L’Afrique n’est pas un laboratoir­e, s’était ainsi insurgé le footballeu­r ivoirien Didier Drogba. Ces propos sont racistes.» «C’est une honte, épouvantab­le, d’entendre des scientifiq­ues tenir de tels propos au XXIe siècle, avait pour sa part réagi le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesu­s, originaire d’Ethiopie. L’Afrique ne sera une zone d’essai pour aucun vaccin.» A sa suite, le responsabl­e de la lutte contre le Covid en

RDC avait déclaré qu’il n’y aurait pas d’essais dans son pays.

Mais, en Afrique du Sud, aucune personnali­té n’a trouvé à y redire. Le pays «arcen-ciel» est le plus touché du continent, avec 197000 infections (41% du total africain) et 3200 morts. Il offre donc un terrain propice aux essais et, en y participan­t, Pretoria s’assure un accès privilégié au futur vaccin à un prix raisonnabl­e. Selon le président sud-africain Cyril Ramaphosa, l’Afrique doit avoir accès à des vaccins «sans brevets, fabriqués et distribués rapidement, et gratuits pour tous».

Une course est bien engagée au niveau mondial. Plusieurs pays occidentau­x ont déjà conclu des accords de pré-achat avec des firmes pharmaceut­iques. Selon le quotidien Le Monde, la société britanniqu­e AstraZenec­a, qui produira le vaccin de l’équipe d’Oxford, a déjà prévendu plus d’un milliard de doses à quatre pays européens, aux Etats-Unis et à l’Alliance Gavi.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland