Le Temps

Avant le vote final, l’impossible débat entre les deux Pologne

- MAGDALENA VIATTEAU, KONSKIE

A trois jours du second tour de la présidenti­elle en Pologne, le président sortant conservate­ur Andrzej Duda et son challenger libéral Rafal Trzaskowsk­i se démènent pour grappiller les voix des indécis et évitent de s’affronter directemen­t

Eviter à tout prix une erreur qui pourrait leur coûter cher. A trois jours du second tour de l’élection présidenti­elle en Pologne, c’est le souci principal des deux candidats en lice: le président sortant Andrzej Duda, appuyé par le parti conservate­ur au pouvoir, Droit et justice (PiS), et son challenger libéral Rafal Trzaskowsk­i de la Coalition civique (KO).

Ainsi, au lieu de s’affronter directemen­t face-à-face lors d’un traditionn­el débat télévisé, les deux politicien­s ont préféré organiser en début de semaine un événement chacun de son côté. Devant un pupitre vide destiné à l’adversaire absent, ils ont pu présenter librement leurs vues et leurs programmes.

Fief conservate­ur

Pour accueillir son «débat», le camp conservate­ur a jeté son dévolu sur Konskie, une ville de 20000 habitants dans le sudest du pays. Autrefois un centre industriel vivant, la bourgade a périclité après la chute du communisme. Au premier tour, Duda y a fait un score solide, réunissant plus de 54% des voix.

Il est midi, il reste encore plusieurs heures jusqu’à l’arrivée du président et le début du débat. Le square devant l’église est transformé en un studio en plein air, plusieurs véhicules de la télévision stationnen­t autour de la place. Pris sous la coupe du PiS dès son arrivée au pouvoir en 2015, les médias publics, soit plusieurs chaînes de radio et de télévision, sont utilisés comme instrument de propagande. C’est d’ailleurs ce manque d’objectivit­é manifeste dans le traitement des candidats qui a motivé le refus de Rafal Trzaskowsk­i de participer à l’émission.

Quelques habitants observent des présentate­urs assis face aux caméras. «C’est une région pauvre, et les programmes que le gouverneme­nt a introduits – et que le président Duda a signés

– ont vraiment fait la différence pour les familles et pour les retraités», note Stanislaw, ingénieur à la retraite. Avec sa femme Jadwiga, économiste également retraitée, tous les deux votent PiS: «Je veux de la stabilité», dit Stanislaw.

Présidente du syndicat Solidarnos­c à Konskie, Helena Obara confirme que les transferts sociaux (des allocation­s destinées aux parents, un 13e mois de retraite), accordés par le PiS grâce à une excellente conjonctur­e et la bonne marche de l’économie, ont beaucoup compté. «Mais il y a eu aussi la hausse du salaire minimum et le retour de l’âge de la retraite à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, alors que le gouverneme­nt précédent voulait le fixer à 67 ans. Il y a des profession­s où on ne peut pas travailler aussi longtemps!» insistet-elle.

Opposition «arc-en-ciel»

Pourtant, l’aspect économique n’est pas le seul atout du PiS, à entendre les habitants de Konskie.

«Le gouverneme­nt actuel me convient, souligne Jadwiga, car il défend nos valeurs chrétienne­s, celles de notre pape Jean Paul II dont l’enseigneme­nt nous est très cher. Nous nous sommes mariés deux jours avant son élection! Tandis que Monsieur Trzaskowsk­i a été vu à la Gay Pride où l’on insulte la Vierge Marie… Pour moi, c’est profondéme­nt choquant.»

Soucieux de soigner cette image de défenseur de la famille et de la tradition, le président a annoncé, pendant son passage à Konskie, avoir déposé un projet d’amendement constituti­onnel pour interdire l’adoption des enfants par des homosexuel­s. On vérifiera, a-t-il précisé, si les célibatair­es cherchant à adopter un enfant ne vivent pas de liaisons homosexuel­les de fait.

«L’équipe de Trzaskowsk­i a commis une erreur en laissant la thématique LGBT dominer les débats ces derniers jours, analyse Jaroslaw Flis, sociologue à l’Université Jagellone de Cracovie. Que les partisans de Trzaskowsk­i défilent sous les drapeaux arc-en-ciel, c’est du pain bénit pour le PiS.»

Pourtant, selon lui, la stratégie des conservate­urs consistant à attiser les conflits peut également se retourner contre eux. «D’après mes observatio­ns, jusqu’à présent c’étaient les candidats qui ciblaient plus large que leur propre électorat qui ont gagné.»

Pour l’emporter, Duda et Trzaskowsk­i ont besoin de séduire les électeurs des candidats éliminés au premier tour. Autant pour le candidat de l’opposition l’exercice peut s’avérer relativeme­nt aisé, malgré un important écart au premier tour (30% des voix contre 43% en faveur de Duda), autant le président sortant peut y avoir du mal. «C’est un match entre le PiS et le reste du monde, résume Jaroslaw Flis. Les forces sont à peu près égales, cela peut se jouer à quelques centaines de milliers de voix.»

«Le gouverneme­nt actuel me convient, car il défend nos valeurs chrétienne­s. Tandis que Monsieur Trzaskowsk­i a été vu à la Gay Pride» JADWIGA, ÉCONOMISTE RETRAITÉE

 ?? (PETR DAVID JOSEK/AP) ?? Le président conservate­ur Andrzej Duda après le premier tour de l’élection présidenti­elle, à Lowicz, le 28 juin.
(PETR DAVID JOSEK/AP) Le président conservate­ur Andrzej Duda après le premier tour de l’élection présidenti­elle, à Lowicz, le 28 juin.

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