John Philip Holland, discret génie du submersible
ÉCHOS DE SONAR (1/8) Eternel objet de fantasmes, il fascine autant que les abysses qu’il explore. Plongée dans l’histoire, méconnue et agitée, du père du sous-marin moderne
Disparaître sous la surface et conquérir, à sa guise, les profondeurs: l’idée obsède l’humanité depuis l’Antiquité, lorsqu’apparaissent les premières cloches de plongée. Il lui faudra quelque deux mille ans et de nombreux essais infructueux (et souvent mortels) pour qu’elle s’en donne les moyens. On cite volontiers le Nautilus ou les ébauches de submersibles signées Léonard de Vinci. Mais un nom a été largement oublié de l’histoire navale: celui de John Philip Holland. C’est pourtant à cet Irlandais à l’imposante moustache, émigré aux EtatsUnis à la fin du XIXe siècle, que l’on doit l’invention du sous-marin moderne.
Plongée en 1873. Le téléphone va être commercialisé, Colette vient de naître et la Grande Famine dévaste l’Irlande. Holland, 32 ans, fuit direction New York. S’il n’a pu intégrer la marine (la faute à sa myopie), il se met en tête de concevoir un sous-marin. «A l’époque, l’idée fascine autant que celle du vol en avion, alimentée par des livres comme Vingt
Mille Lieues sous les mers [publié en 1870]. Mais aucun prototype n’avait jusque-là vraiment fonctionné», rappelle Lawrence Goldstone, auteur de Going Deep (2018). «Tout le monde savait faire couler et remonter un sous-marin. La difficulté était plutôt de le contrôler.»
Ingénieur autodidacte et discret, Holland est animé par une mission politique: mettre fin à la domination britannique. Il rejoint très vite les rangs des Fenians, indépendantistes irlandais qui fomentent une rébellion depuis les Etats-Unis, et les persuade de financer ses inventions: quoi de plus rusé qu’une attaque sous-marine pour terrasser l’envahisseur?
Dès le départ, Holland a la bonne idée: repenser le système de lestage. «Il comprend où positionner les réservoirs pour que le sousmarin flotte naturellement, juste au-dessous de la surface. Puis celui-ci descendait au fur et à mesure du remplissage des réservoirs», détaille Lawrence Goldstone. En 1878, c’est raté: le premier prototype coule devant une foule de sceptiques – persuadés que «le professeur s’est construit un cercueil».
Surprise, Holland en sort indemne et, petit à petit, affine son sous-marin, le dotant d’une cuirasse ovale inspirée des cétacés, d’un moteur combinant essence et électricité (une révolution à l’époque de la vapeur) – et d’une torpille. En 1881, le redoutable Fenian Ram est mis à flot dans le port de New York, effrayant les ferrys et affolant la presse.
Bientôt, soumis à des pressions financières et victimes de l’intrusion d’un espion anglais, les Fenians se déchirent. Une nuit de novembre 1883, une faction du groupe accède au ponton et vole le Fenian Ram – avant de réaliser que personne ne sait le piloter… C’en est trop pour Holland, qui décide de proposer ses sous-marins à la Navy américaine. De nouveau, l’ingénieur se confronte au scepticisme de l’époque. Il lui faudra encore des années, et l’aide du businessman Isaac Rice, pour que le Holland-6 voie le jour. Un bijou de 16 m de long, «dont le design est à la base de tous les sous-marins d’attaque qui suivront, et reste valide aujourd’hui», précise Lawrence Goldstone.
Les marines du monde entier s’arracheront le Holland-6 – britannique y compris! Mais Holland, acculé financièrement, devra céder ses droits à l’Electric Boat Company, société pilotée par Isaac Rice. «C’est presque une pièce de théâtre. Vous avez cet homme brillant, travailleur mais tout simplement pas assez féroce. Il a réussi à construire un sous-marin révolutionnaire, mais jamais à être reconnu pour ça», regrette Lawrence Goldstone. Holland mourra dans l’anonymat en 1914, veille de la Première Guerre mondiale… durant laquelle les sous-marins, et les U-Boot en particulier, joueront un rôle clé.
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À L’ÉPOQUE, L’IDÉE FASCINE AUTANT QUE CELLE DU VOL EN AVION LAWRENCE GOLDSTONE, «GOING DEEP» (2018)