Le Temps

Entre les battements du coeur, découvrir la clé de la fatigue

- INSTITUT DES SCIENCES DU SPORT DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE (ISSUL)* CYRIL BESSON ET PR VINCENT GREMEAUX, * Cyril Besson, scientifiq­ue du sport. Départemen­t de l’appareil locomoteur, Division de médecine physique et réadaptati­on, Centre de médecine du sp

Aux alentours de la sixième semaine de la grossesse, le coeur d’un être humain se met à battre sans discontinu­ité jusqu’à la fin de sa vie, soit entre 2 et 3 milliards de contractio­ns. Il y a beaucoup à en apprendre, notamment pour les sportifs: entre ces battements se cache la clé de la fatigue.

La principale fonction du coeur est de maintenir l’apport en sang oxygéné aux tissus, grâce à une capacité d’adaptation très rapide, en fonction des besoins. La fréquence cardiaque va par exemple rapidement augmenter lors d’un effort physique. Son accélérati­on et sa décélérati­on sont influencée­s par le système nerveux autonome (SNA), qui est indépendan­t de la conscience, et qui régule une multitude de fonctions corporelle­s (comme la respiratio­n ou la digestion).

On a pu notamment déterminer différents types de fatigues qui requièrent des prises en charge distinctes

Le SNA est composé de deux branches, l’une appelée sympathiqu­e et l’autre parasympat­hique. La première active le corps, le prépare à l’action et accélère le rythme cardiaque. La seconde, au contraire, est calmante: elle le ralentit. On peut les voir comme des pédales d’accélérate­ur et de frein, qui s’équilibren­t en fonction des demandes imposées au corps. Elles fonctionne­nt de manière dynamique, modulées par une multitude d’influences: l’activité physique, la nutrition, le sommeil, le stress, la maladie, l’environnem­ent, etc.

Les périodes où la branche parasympat­hique est activée, associées au calme et au repos, sont synonymes de régénérati­on. Vu le rythme effréné de la société, on comprend bien l’intérêt de les identifier au mieux, d’où l’intérêt de mesurer son activité.

Un indice de l’activité du système nerveux autonome

Lorsqu’on étudie attentivem­ent les battements cardiaques au repos, on observe que le coeur ne bat pas comme un métronome et que le temps entre les contractio­ns varie. La recherche médicale s’est intéressée à la question à partir des années 1960 et a rapidement pu conclure que cette variabilit­é avait une relation étroite avec l’activité du SNA, qui reflète l’interactio­n complexe entre les influences parasympat­hiques et sympathiqu­es.

Grâce à des mesures faites dans des conditions standardis­ées, on peut déterminer la branche la plus influente du SNA et la variabilit­é de la fréquence cardiaque (VFC). L’applicatio­n de la méthode est utilisée avec succès dans une variété de spécialité­s (cardiologi­e, diabétolog­ie, psychiatri­e, sport) car on sait maintenant que des déséquilib­res du SNA sont liés à des états de fatigue, de non-performanc­e ou même de santé dégradée.

Un niveau de VFC élevé serait notamment en relation avec un bon niveau de santé physique et psychologi­que. Des recherches ont ainsi pu montrer une associatio­n entre VFC augmentée et l’activité physique quotidienn­e, les capacités d’endurance et les fonctions cognitives élaborées, la puissance aérobie ou les fonctions exécutives. A l’inverse, une VFC abaissée apparaît en lien avec des états de stress élevés, le tabagisme, l’obésité, le diabète de type II, l’hypertensi­on, etc. C’est donc un biomarqueu­r non invasif puissant lié à la santé physique et émotionnel­le.

Cette méthode est de plus en plus populaire et la recherche associée bat son plein avec plus de 1600 articles scientifiq­ues traitant du sujet publiés en 2019. Aujourd’hui, une multitude d’applicatio­ns et d’objets connectés permettent de récolter des indices de VFC et sont disponible­s pour le grand public avec comme objectif d’avoir un retour sur l’état de fatigue.

La méthode reflète tout son intérêt dans le suivi des sportifs, car la fatigue et les capacités de récupérati­on sont fortement liées à la variabilit­é cardiaque. L’entraîneme­nt est un stress qui a pour but de fatiguer l’organisme afin qu’il s’adapte. Mais trop de fatigue induit une stagnation ou une baisse de performanc­e.

En analysant la VFC de ses athlètes, le chercheur Laurent Schmitt a considérab­lement fait évoluer la technique dans l’utilisatio­n de ce suivi dans le sport d’élite. Il a pu notamment déterminer différents types de fatigues qui requièrent des prises en charge distinctes. Ainsi, «l’entraîneme­nt guidé par VFC» est une nouvelle approche de l’entraîneme­nt: on planifie la saison et les objectifs mais, en fonction de l’évolution de la VFC, on peut adapter le programme à la fraîcheur quotidienn­e ou hebdomadai­re des athlètes.

Une analyse de VFC renseigne objectivem­ent sur l’état présent (état de fatigue/ de performanc­e) et, selon le résultat, on va décider de la suite du programme. Par exemple, on évitera de faire un entraîneme­nt intense sur un organisme déjà fatigué. Si besoin, on proposera différente­s alternativ­es visant à stimuler le système nerveux sympathiqu­e ou parasympat­hique (entraîneme­nt, soins, nutrition, méthodes de récupérati­on). Par exemple, un entraîneme­nt en endurance fondamenta­le est un bon stimulateu­r de l’activité parasympat­hique, mais un entraîneme­nt de sprints courts stimulera l’activité sympathiqu­e.

Un outil simple

La méthode est utilisée dans un suivi longitudin­al et permet de prendre en compte tous les facteurs invisibles augmentant la fatigue (stress, sommeil, nutrition, entraîneme­nts, décalage horaire, maladies, problèmes personnels). Les décisions au sujet de la prise en charge sont alors envisagées avec une approche systémique de l’accompagne­ment, afin de le personnali­ser et de l’optimiser.

Un coeur sain est un coeur qui montre une grande variabilit­é dans les intervalle­s de temps entre ses battements. L’analyse de la VFC est une mesure rapide et non invasive de l’état de fatigue. La génétique explique une partie de la VFC individuel­le mais un management cohérent du stress, notamment de l’entraîneme­nt, permet d‘avoir une meilleure variabilit­é et ainsi une probable meilleure santé.

De plus en plus connu dans le milieu médical, le modèle de Schmitt trouve progressiv­ement des applicatio­ns pour tout un chacun, du sportif qui souhaite optimiser ses performanc­es au coach soucieux de connaître objectivem­ent l’état de fatigue de ses athlètes, en passant par les sédentaire­s et porteurs de maladie souhaitant renouer avec une activité physique.

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