Le Temps

Pénalisati­ons salariales après le retour d’un pays à risque

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

L’employeur ne serait pas tenu de verser le salaire pendant une quarantain­e qui suit un séjour dans un pays identifié comme étant à risque par la Confédérat­ion. Cela pourrait valoir aussi pour les absences en cas de maladie d’un salarié qui aurait attrapé le virus dans l’un de ces pays

Privés de sortie et de salaire. C’est le sort qui attend les vacanciers ou voyageurs ayant séjourné dans des pays pointés par la Confédérat­ion comme étant à risque d’infection au coronaviru­s. Depuis le début de la semaine, doit s’isoler pendant dix jours toute personne en provenance de régions signalées sur la liste coordonnée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). A ce jour, 29 pays y figurent, notamment la Serbie, le Kosovo, la Suède, la Colombie, les EtatsUnis ou encore la République dominicain­e. Une mesure qui a fait débat cette semaine, alors que les projets de vacances se concrétise­nt et que les nouvelles infections augmentent. En particulie­r sur la question du paiement des salaires pendant ces quarantain­es.

«Le Conseil fédéral n’a pas émis de directives juridiques spéciales», signalait jeudi lors d’un point de presse Michael Schöll, sous-directeur de l’Office fédéral de la justice.

Le curseur de la faute

L’ordonnance fédérale spécifie seulement qu’une quarantain­e après un séjour dans un pays à risque ne donne pas droit à l’allocation perte de gain Covid (en cas de mesures destinées à lutter contre le coronaviru­s). Les assureurs, eux, ne versent des indemnités journalièr­es qu’en cas d’infection avérée au coronaviru­s, sur présentati­on d’un certificat médical, mais pas lorsqu’il s’agit de quarantain­es préventive­s, précise Groupe Mutuel.

Dans ce contexte et en l’absence de jurisprude­nce, «ce sont les principes généraux du droit du travail qui s’appliquent», a poursuivi l’expert de la Confédérat­ion. La législatio­n prévoit ainsi que pour tout contrat de trois mois ou plus, si le travailleu­r est empêché de travailler sans faute de sa part, l’employeur (son assurance s’il en a une) verse le salaire.

Or, «le fait de se rendre sciemment dans un pays à risque d’infection constitue une faute», estime Marco Taddei, responsabl­e romand de l’Union patronale suisse (UPS). Ainsi, à moins d’y avoir été envoyé par son employeur – une situation pour laquelle l’OFSP considère que le salaire est dû – le travailleu­r pourrait voir sa rémunérati­on ou son solde de vacances amputé de dix jours. Son patron pourrait même lui réclamer des dommages et intérêts si, en vertu de la violation d’une directive interne, la mise en quarantain­e aurait des conséquenc­es sur la bonne marche de l’entreprise: «s’il s’agit par exemple d’un cadre, qui aurait la responsabi­lité d’un projet et que celui-ci devait être retardé ou compromis, suite à un séjour dans une région à risque», illustre-t-il.

«Dans de nombreux cas, des solutions pragmatiqu­es peuvent être convenues individuel­lement, notamment le télétravai­l, quand c’est possible. Ou la compensati­on en heures supplément­aires»

MARCO TADDEI, RESPONSABL­E ROMAND DE L’UNION PATRONALE SUISSE

Qu’advient-il dans le cas où la région serait considérée comme sûre au moment du départ, puis listée par l’OFSP pendant que le travailleu­r y séjourne? Ni l’employeur ni son employé ne seraient fautifs, un bras de fer pourrait alors s’engager entre les deux parties. «Dans de nombreux cas, cependant, des solutions pragmatiqu­es peuvent être convenues individuel­lement, notamment le télétravai­l, quand c’est possible. Ou la compensati­on en heures supplément­aires», observe Marco Taddei.

L’employé qui tomberait malade du Covid suite à un séjour dans un pays à risque pourrait-il aussi se voir privé de son salaire? Non, selon l’OFSP, qui considère que «les règles habituelle­s de maintien du salaire ou de remplaceme­nt des gains en cas de maladie s’appliquent, quel que soit le lieu où l’on a été infecté». A l’inverse, le patronat estime que «si l’employé a agi sciemment, on peut considérer qu’il s’agit d’une faute», avertit Marco Taddei.

«Le refus pourrait venir de l’assureur de l’employeur chargé de verser les indemnités pour absences», avertit Felix Schneuwly, expert auprès du comparateu­r d’assurances Comparis.ch. Dans le milieu, les positions sont variables: Groupe Mutuel, Helvetia et Vaudoise Assurances intervienn­ent «normalemen­t». Chez Baloise Group «ce cas n’a pas encore été décidé et fait encore l’objet d’une clarificat­ion juridique».

Une situation d’autant plus épineuse que les obligation­s d’annonce, décrétées par les autorités sanitaires pour éviter la propagatio­n de l’infection, fragilisen­t l’habituelle confidenti­alité médicale – en temps normal, l’employeur ne connaît pas nécessaire­ment la cause de la maladie.

«Ces questions devront être tranchées devant les tribunaux», prédit d’ores et déjà Michael Schöll.

Frais médicaux remboursés

Seule certitude, les frais de traitement du Covid continuero­nt eux d’être couverts sans limitation par l’assurance maladie de base – un séjour à l’hôpital coûte entre 7000 francs pour les patients les moins gravement atteints et 120000 francs pour ceux qui ont nécessité des soins intensifs, indique la faîtière Santésuiss­e. Y compris en cas d’infection à l’étranger, à concurrenc­e d’au maximum le double du coût du traitement en Suisse, avertit la faîtière des caisses maladie.

Actuelleme­nt, 32690 personnes ont été testées positives au virus, soit 104 de plus par rapport au jour précédent, selon les chiffres publiés vendredi par l’OFSP. Sur les cas recensés ces dernières semaines, une personne sur quatre a été contaminée à l’étranger dans des pays considérés à risque, ont précisé les autorités jeudi lors d’un point de presse. Plus de 2500 personnes se trouvent en quarantain­e (par mesure de prévention) et 648 en isolement (car malades), selon les données publiées vendredi par l’OFSP.

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