Le Temps

«Camille dans les étoiles», surmonter le deuil d’un enfant

Vanessa Binder, 38 ans, a perdu sa petite Camille, 7 mois, en mars 2017. Après une période de détresse, la jeune femme raconte comment elle a découvert un nouveau sens à sa vie. Une expérience qu’elle relate dans un livre illustré pour aider les autres pa

- MARIE-PIERRE GENECAND

Rencontrer une mère qui a perdu sa fille de 7 mois, c’est se préparer à vivre un moment chargé. Colère, tristesse, acceptatio­n ou non, on se dit que l’entretien sera légitimeme­nt traversé par de fortes émotions. Vanessa Binder, 38 ans, déjoue ces attentes. Energique, prévenante et souriante, cette jeune femme, employée d’une banque privée à Genève et mère de deux petits garçons, ne porte pas les stigmates de son calvaire. «C’est ainsi. Après avoir été déchiré, mon coeur s’est ouvert», confirme l’intéressée.

«Petit à petit, j’ai senti que ma fille se trouvait dans un endroit bon pour elle et mon approche est devenue plus philosophi­que. Je ne suis pas perchée, mais ma vision des choses s’est élargie.» Cette expérience, Vanessa a souhaité la partager en publiant Camille dans les étoiles, un récit illustré qui raconte cette embellie et vise à «aider les parents qui ont traversé la même tragédie». Réalisé grâce à un crowdfundi­ng, cet ouvrage remplit aussi une autre fonction: permettre à l’auteure de faire comprendre que, même si sa fille est décédée, elle a droit au bonheur.

22 mars 2017, 14 heures. Au travail, Vanessa reçoit le coup de téléphone de son voisin de villa qui l’informe que Camille, 7 mois, «est en arrêt respiratoi­re». Les secours sont là, qui tentent de réanimer la petite, tandis qu’un hélicoptèr­e s’apprête à l’emmener aux HUG, à Genève. «La pièce s’est mise à tourner. J’ai vu tout noir. Heureuseme­nt que mes collègues, très prévenants, ont tout de suite pris le relais.» Accompagné­e, la jeune maman se rend à l’hôpital où l’attend Jean, son époux, et apprend les circonstan­ces de l’accident. La nounou a laissé Camille dans son bain, sans surveillan­ce. Pas longtemps, bien sûr, mais assez pour que le bébé glisse et se noie.

Le drame

Plus tard, l’enquête a montré que, pendant qu’elle donnait le bain à Camille, la jeune femme de 28 ans a eu une conversati­on téléphoniq­ue d’une dizaine de minutes avec une amie et envoyait simultaném­ent des messages WhatsApp afin d’organiser l’anniversai­re surprise de son amoureux. «Les éléments du rapport de police laissent supposer que la nounou s’est absentée de la salle de bains pour ce téléphone, laissant Camille seule dans son siège de bain, dans une baignoire remplie d’eau. Cependant, la nounou nie et la justice n’a pas pu vraiment déterminer pour quelle raison cette dernière a quitté la salle de bains, malgré la reconstitu­tion des événements organisée par le procureur», détaille Vanessa, en hochant la tête.

Son employée, avec qui elle s’entendait très bien, a reconnu ses torts. Elle a exprimé des regrets et est traumatisé­e par le drame, mais elle n’a jamais présenté d’excuses. Les époux viennent de signer l’acte d’accusation qui met fin aux procédures judiciaire­s. La nounou a été reconnue coupable d’homicide par négligence avec 18 mois de sursis et 3 ans de probation. «Malheureus­ement, nous ne saurons jamais avec exactitude ce qu’il s’est passé ce jour-là. Nous aurions souhaité que la vérité soit établie et que des excuses soient prononcées.»

La mort

Le sort de Camille, aux soins intensifs pendant cinq jours, n’a pas été scellé de suite. «Au début, on a eu un faux espoir, car, malgré le long moment où notre fille a arrêté de respirer, le premier IRM montrait peu de lésions dans son cerveau. On a pensé que, peut-être, notre bébé reviendrai­t comme avant!» Alors une formidable mobilisati­on s’est mise en place. «S’il avait dû se passer un miracle, il serait arrivé», se souvient, émue, Vanessa. «Entre le reiki à distance, les cercles de prières et de nombreuses initiative­s de soutien, on a senti une véritable bulle d’amour.» Mais le miracle n’a pas eu lieu et, quatre jours après l’accident, les médecins ont déclaré la mort cérébrale de Camille. Les parents ont alors accepté que l’assistance respiratoi­re de leur fille soit débranchée et ont organisé une nuit de veille. Le lendemain, Cyril, son frère âgé de 2 ans et neuf mois, a pu dire au revoir à Camille avant qu’elle décède dans les bras de sa maman.

Que dit-on à un si petit garçon quand meurt sa soeur? «Sur le moment, on lui a expliqué qu’elle était partie au ciel. Cela ne devait pas être très clair, car, plus tard, il nous a demandé quand elle reviendrai­t. Alors, un an après, je lui ai raconté les circonstan­ces de l’accident et je lui ai parlé de la mort.» Cyril, qui a 6 ans aujourd’hui, a récemment cherché à savoir s’il était présent lors de l’événement. «Il faisait la sieste dans sa chambre, à côté de la salle de bains. Je lui ai donc répondu «oui» et, aussitôt, il s’est exclamé qu’il aurait pu sauver sa soeur.»

La culpabilit­é

La culpabilit­é. Comment y échapper? Dans la famille, tout le monde y a été confronté. Vanessa, parce qu’elle a recruté la nounou et accepté un anneau de bain d’une amie, sorte de petit siège en plastique qui se fixe à la baignoire au moyen de ventouses. «Dès qu’on a reçu cet accessoire dans lequel Camille était installée durant l’accident, mon mari s’est méfié. Il répétait que c’était une fausse sécurité. Moi, j’ai trouvé ça pratique, sans pour autant imaginer qu’on puisse laisser un bébé seul dedans. Il est d’ailleurs indiqué sur le côté que cet objet ne remplace pas la surveillan­ce humaine.»

Le père de Vanessa s’en est aussi voulu, car, ce jour-là, il a eu l’envie de venir plus tôt chez sa fille pour s’occuper de Cyril, l’aîné, qu’il devait de toute façon garder dès 15 heures, puis il y a renoncé. Pareil pour la grand-mère du mari qui habite la maison d’à côté. Le midi en question, elle était au restaurant avec des amis et se demande régulièrem­ent ce qu’il serait arrivé si elle avait été présente pour aider la nounou… «La culpabilit­é est un cercle infernal», soupire Vanessa. «J’ai arrêté de me torturer, car il y a trop d’enchaîneme­nts imprévisib­les pour anticiper le drame. Le seul tort imputable, pour moi, est celui de la nounou qui n’aurait jamais dû quitter Camille des yeux. Tout le reste n’est que spéculatio­ns sans fin.»

La libération

Face à ces informatio­ns et ces visions, on prend une grande respiratio­n. Incroyable­ment compatissa­nte, Vanessa se souvient: «Je suis passée par là. Après la période zombie où on a continué à fonctionne­r pour l’aîné, j’ai eu un long moment durant lequel j’allais mieux le jour, mais je faisais des rêves oppressant­s, la nuit. Alors, j’ai suivi une séance d’EMDR, cette technique de désensibil­isation par les mouvements oculaires, et j’ai senti un immense déclic dans mon coeur. J’ai eu la sensation que Camille me disait: «Tout va bien et tout ira bien.» Depuis, je suis libérée. Je sais que notre petite fille, ma petite étoile, est tout le temps près de nous.»

Comme beaucoup d’autres parents qui ont perdu leur enfant, Vanessa a aussi consulté une médium, quatre mois après le décès. «La médium a entendu que Camille souhaitait que naisse un nouveau bébé. Cette femme n’a pas osé me le dire avec clarté, par peur de me choquer, mais quand je lui ai dit que j’y pensais, elle a partagé sa vision.» Deux mois après, Vanessa était enceinte et, en juillet 2018, Loïc naissait. «Loïc est joyeux, câlin, c’est un véritable cadeau. Si Camille n’avait pas disparu, on ne l’aurait jamais eu, car on était satisfait avec nos deux enfants… Ce n’est évidemment pas une consolatio­n, Loïc ne remplace pas Camille, qui gardera toujours sa place.»

Le sens

On arrive là sur le terrain délicat de «l’explicatio­n». Du sens à donner à une disparitio­n si révoltante. «Un maître taoïste, dont ma belle-mère suit l’enseigneme­nt, prétend que

Camille était destinée à ne pas être sur terre pour longtemps et que si nous avons été amenés à vivre une telle épreuve, c’est qu’on était assez forts pour la surmonter. Mon mari refuse ce genre d’interpréta­tion qui implique un destin, ce qui minimisera­it la faute de la nounou. Il est très cartésien et nourrit toujours de la colère face à sa négligence, ce qui est entièremen­t compréhens­ible.»

Vanessa, elle, se sent plus ouverte à ces explicatio­ns. «J’ai gagné en profondeur spirituell­e depuis la mort de Camille. Avant le drame, on avait une petite vie rangée, je me posais peu de questions, je ne réfléchiss­ais jamais au sens de la vie. Aujourd’hui, je vis plus intensémen­t le moment présent, en lien avec l’univers. Je m’interroge sur la conscience, l’âme. Et j’ai revu mes priorités: j’aimerais diminuer mon temps de travail pour passer plus de moments de qualité avec nos enfants.» Mais alors, si Vanessa et Jean ont un ressenti si différent, comment le couple fait-il pour tenir? «On respecte nos cheminemen­ts respectifs. On est amoureux. Par contre, on n’est pas forcément les meilleurs interlocut­eurs quand il s’agit d’évoquer Camille…»

Le soutien

Pour surmonter leur peine, les deux conjoints ont aussi assisté aux rencontres de l’associatio­n genevoise Arc-en-ciel, qui accueille les parents endeuillés sous le regard bienveilla­nt de Patricia Manasseh (LT du 22.01.2109). «J’y ai trouvé beaucoup de soutien, un endroit où tout dire sans tabou», se souvient Vanessa. Aujourd’hui, la jeune femme a, à son tour, envie d’alléger le quotidien des parents brisés en partageant ses révélation­s. «Très modestemen­t, j’ai écrit ce conte illustré qui raconte de manière imagée comment Camille, une fois morte, est devenue une étoile. Je crois sincèremen­t que tous les enfants décédés restent près de ceux qui les ont aimés, comme des présences bienveilla­ntes. Je sens que ma connexion avec Camille n’est pas rompue et c’est grâce à ce lien du coeur que je suis heureuse.»

«Petit à petit, j’ai senti que ma fille se trouvait dans un endroit bon pour elle et mon approche est devenue plus philosophi­que. Je ne suis pas perchée, mais ma vision des choses s’est élargie» VANESSA BINDER

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(ALINE BUREAU POUR LE TEMPS)

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