L’inquiétante beauté des glaciers roses
Ce manteau de neige rosâtre recouvre une partie du glacier Presena, dans les Alpes italiennes. La couleur intrigante est due à la présence dans la glace de microalgues, qui deviennent rouges une fois exposées aux rayons du soleil. Obscurcie, la neige absorbe davantage de chaleur, ce qui accélère, notamment en Arctique où le phénomène est courant, l’effet du changement climatique.
ENVIRONNEMENT En ce début d’été, le glacier Presena en Italie a pris une teinte rose très photogénique. Elle révèle la présence de microalgues qui prolifèrent dans la neige et pourraient en accélérer la fonte
Depuis début juillet, un poétique manteau de neige rose recouvre une partie du glacier Presena, dans les Alpes italiennes. Un glacier rose: avez-vous trop bu? Non, il s'agit d'un phénomène naturel, causé par la présence dans la glace de microalgues. L'image est belle, mais aussi inquiétante. Car ces algues pourraient accélérer la fonte des glaces sous l'effet du changement climatique.
La neige et la glace sont loin d'être les milieux inertes qu'on pourrait imaginer. «Elles abritent en fait de nombreux organismes, dont des algues, mais aussi des bactéries, des champignons et des araignées», relève Beat Frey, microbiologiste à l'Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL. Ces êtres spécialement adaptés à la vie dans le froid sont pour la plupart microscopiques et donc invisibles à l'oeil nu.
Protection contre les UV
Ce n'est qu'en début d'été qu'on devine la présence des algues des neiges. «Ces algues suivent un cycle annuel, poursuit Beat Frey. L'hiver, elles vivent à l'état de spores sous le manteau neigeux. Au printemps, lorsque la neige fond, elles migrent vers la surface – on ne comprend d'ailleurs pas comment elles réalisent cette prouesse, alors que l'eau de fonte devrait les entraîner vers le bas. Elles sont alors de couleur verte, en raison des pigments qu'elles utilisent pour faire de la photosynthèse. Elles ne deviennent rouges que lorsqu'elles se retrouvent exposées directement aux rayons du soleil, c'est une protection contre les UV.»
Seul un petit nombre d'espèces d'algues est capable de vivre ainsi. En Italie, les chercheurs pensent que c'est Ancylonema nordenskioeldii qui est responsable de l'étonnante coloration du glacier Presena. Une autre espèce régulièrement retrouvée dans ce type de milieu est Chlamydomonas nivalis. Ces algues ont pour particularité de se plaire autant dans les régions polaires, où on observe aussi régulièrement des neiges rouges, qu'aux latitudes moyennes, dans les zones de haute altitude. «On peut voir des neiges roses en Suisse à chaque début d'été, par exemple au col de la Furka», indique Beat Frey. L'étendue du phénomène et son intensité sont toutefois variable selon les lieux et les années.
Las, si le phénomène est indéniablement esthétique, il est aussi menaçant. En faisant passer la neige d'un blanc immaculé au rose, voire au rouge ou au marron selon les cas, les algues réduisent son albédo, soit sa capacité à réfléchir les rayons du soleil. Obscurcie, la neige absorbe davantage de chaleur, si bien qu'elle fond plus vite. Au Groenland en particulier, des études ont montré que les algues des glaces contribuaient de manière significative à la baisse de l'albédo et à la fonte de la calotte glaciaire.
Ce phénomène accélère l'effet du changement climatique, particulièrement intense en Arctique. La calotte glaciaire du Groenland est la masse de glace qui contribue le plus à l'élévation du niveau des mers, à hauteur de quelque 11 centimètres depuis 1990, d'après un récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Afin de mieux anticiper son évolution future, certains experts réclament que le phénomène de «bio-albédo» dû aux algues soit pris en compte dans les modèles climatiques, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
Dans nos contrées, les géants de glace ne se portent pas bien non plus. En Suisse, leur volume a diminué de 10% en cinq ans, une perte jamais observée dans les séries de données depuis plus de cent ans, d'après un rapport de l'Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) publié à l'automne 2019. Les algues jouent-elles ici aussi le rôle d'accélérateur de leur débâcle? «Elles ne semblent pas avoir un impact aussi négatif sur nos glaciers que celui qui est observé en Arctique», rassure Beat Frey.
Un cercle vicieux
Pour ce spécialiste, il n'est pas non plus prouvé qu'il y ait aujourd'hui davantage d'algues des neiges que par le passé. Selon d'autres scientifiques, le réchauffement augmenterait la quantité d'eau de fonte nécessaire à leur développement. Or ces algues font elles-mêmes fondre la neige plus vite lorsqu'elles prolifèrent: un cercle vicieux. Mais d'autres types de perturbations, liées à la présence de randonneurs ou aux remontées mécaniques, pourraient aussi avoir des un effet sur ces mystérieux organismes, dont le mode de vie demeure en partie méconnu. ▅
Obscurcie, la neige absorbe davantage de chaleur, si bien qu’elle fond plus vite