Enlever le «C», pour éviter la chute
Pour stopper l’érosion de son électorat, le PDC Suisse pourrait changer de nom et abandonner le C de chrétien, trop connoté religieusement. En Suisse romande, cette stratégie ne semble pas avoir beaucoup d’adeptes
Le PDC Suisse est en pleine introspection. Il cherche le moyen d’infléchir sa courbe électorale, qui ne cesse de décroître depuis de nombreuses années et qui frôle désormais la barre des 11%. Mais il croit avoir trouvé la solution: changer de nom pour donner le signal d’un nouveau départ et abandonner le «C» de chrétien, dont la connotation religieuse lui ferait perdre bon nombre d’électeurs. Le tout en fusionnant avec le Parti bourgeois démocratique (PBD).
Selon un sondage réalisé par l’institut de recherche gfs.bern, la majorité des membres du parti (53%) estime que la référence chrétienne est un frein pour attirer de nouveaux électeurs. En dehors du parti, ce chiffre monte jusqu’à 79%. «Lorsque l’on constate cela, on doit avoir le courage de se poser la question du changement de nom», souligne le conseiller aux Etats jurassien Charles Juillard. L’actuel vice-président du PDC Suisse ajoute: «Nous arrivons à un seuil critique qu’il faut éviter de franchir pour ne pas perdre notre siège au Conseil fédéral.»
Mais le sondage, souvent remis en question, ne suffit pas. L’impulsion doit venir de la base. Pour la première fois de son histoire, débutée en 1848, le Parti démocrate-chrétien va organiser une votation interne, avant l’assemblée des délégués du mois de novembre, pour que tous ses membres puissent s’exprimer sur le sujet.
La fusion comme occasion
Pour l’historien fribourgeois Bernhard Altermatt, qui s’est présenté aux dernières élections fédérales sous la bannière démocrate-chrétienne, le changement de nom interviendrait à un moment opportun. «Un nom c’est une marque. Chaque changement de marque, d’identités visuelle et nominale est un bouleversement des habitudes de la perception. Il nécessite donc une bonne raison et la fusion avec le PBD, qui est logique à plus d’un titre, en est une», appuie-t-il.
Si le PDC précise que le changement de nom et la fusion sont deux processus menés en parallèle, mais qui ne sont pas liés, on ne peut s’empêcher de voir le rapprochement avec le PBD comme l’élément qui valide le processus de redénomination. C’est en quelque sorte un moyen de faire passer la pilule.
«Ce rapprochement serait une fusion par absorption du PBD, au vu de son poids électoral. On ne doit pas en faire une raison pour changer de nom», proteste la sénatrice valaisanne Marianne Maret, qui se dit récalcitrante à une modification d’appellation de son parti. «Changer de nom ne va pas changer fondamentalement les choses. Si vous n’aimez pas les produits de la Migros et que cette dernière change de nom demain, vous n’irez toujours pas acheter ses produits», image-t-elle. Avant d’ajouter: «C’est une fausse réponse. Ce n’est pas comme cela que l’on va gagner des parts de marché.»
«Nous arrivons à un seuil critique qu’il faut éviter de franchir pour ne pas perdre notre siège au Conseil fédéral» CHARLES JUILLARD, CONSEILLER AUX ÉTATS JURASSIEN
Le sondage commandé par le parti national relève pourtant que les démocrates-chrétiens valaisans, qui représentent la principale force cantonale du PDC Suisse, ne sont pas aussi tranchés sur la question, puisque 48% des quelque 650 membres du PDC valaisan sondés sont favorables à un changement de nom. Président du PDC du Valais romand, Joachim Rausis compare la situation valaisanne à un grand écart: «Certaines personnes peuvent vivre avec un changement de nom, car elles n’y sont pas trop attachées, d’autres annoncent déjà qu’elles quitteront le parti si le C disparaît.»
Cette seconde possibilité est la crainte de Delphine Bachmann. «Si c’est pour perdre une base fidèle, c’est peu constructif», souligne la présidente fraîchement élue du PDC Genève. Elle estime que «l’attache aux valeurs chrétiennes est importante et garde tout son sens, car elle définit toujours la politique du parti et la manière dont on va la décliner». Pour cette députée, le changement de nom est donc prématuré: «Nous devrions tout d’abord attendre de voir l’effet du groupe du Centre au parlement fédéral [il regroupe le PDC, le PBD et le Parti évangélique depuis le début de la nouvelle législature, ndlr], avant de s’imaginer changer de nom.»
Mais le PDC peut-il encore attendre, lui qui est passé de près de 17% de l’électorat en 1995 à tout juste 11% aujourd’hui et qui, durant cette même période, a perdu un siège au Conseil fédéral, au profit de l’UDC, qui a siphonné une partie des électeurs démocrates-chrétiens avec ses valeurs conservatrices? L’ancien ministre et conseiller aux Etats jurassien Jean-François Roth estime qu’il faut agir. «On peut mourir avec notre étiquette chrétienne, mais notre influence politique sera nulle, lorsqu’on sera mort», explique-t-il, faisant remarquer que la reconquête avec cette bannière chrétienne n’a pas fonctionné.
L’importance d’un centre fort
Pour rebondir, il prône de jouer la carte d’un centre fort. «Il faut un véritable parti du centre en Suisse, quitte à changer de nom, insiste Jean-François Roth. C’est toute une philosophie de la pensée démocrate-chrétienne avec de grandes références en Allemagne ou en France. Je suis persuadé qu’on arrivera à le faire et, ainsi, casser la polarisation, étrangère aux moeurs de la politique helvétique.»
C’est cette même ligne que semble suivre le PDC. Et sa future dénomination pourrait d’ailleurs être «Le Centre». C’est en tout cas la proposition qui a été jugée la plus attractive par les membres du PDC. Si elle représente parfaitement le positionnement du parti sur l’échiquier politique, en matière de dénomination de parti, c’est autre chose. En Suisse romande, le terme de «centre» est déjà l’apanage de l’UDC, l’Union démocratique du centre. Et nombreux sont nos interlocuteurs à nous le faire remarquer.
Delphine Bachmann ajoute par ailleurs que «le mot centre ou milieu ne veut rien dire en tant que tel, il ne reflète ni valeur ni positionnement politique». Le changement de nom ne fait de loin pas l’unanimité au sein du parti et les débats promettent d’être nourris à l’interne. Mais le PDC Suisse semble tenir mordicus à cette modification, lui qui écrit dans un communiqué que «sur la base des sondages, ainsi qu’à partir d’autres analyses et de contributions, la présidence du parti décidera au mois d’août avec quelle marque elle compte affûter notre profil». Alors, quel sera le nouveau nom du PDC? Les paris sont ouverts.
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