Le Temps

«Le Conseil fédéral devrait être courageux»

Président de la Commission de la communicat­ion, Stephan Netzle fustige l’atermoieme­nt du gouverneme­nt sur la 5G. Selon lui, le Conseil fédéral devrait lever les moratoires cantonaux, illégaux, et cesser de perdre du temps en commandant de nouveaux rapport

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

La 5G est à l’arrêt en Suisse. Freinés par des moratoires cantonaux, des opposition­s locales et des normes qu’ils jugent trop strictes, les opérateurs sont incapables de déployer leurs réseaux rapidement. Il leur faudra des années, peut-être une dizaine, avant que la 5G soit une réalité pour la majorité des Suisses. Cette situation préoccupe Stephan Netzle, président la Commission de la communicat­ion (ComCom) à temps partiel et avocat à Zurich. Sa commission a notamment préparé les enchères pour les licences 5G, qui se sont déroulées en janvier 2019 et qui ont coûté 380 millions de francs au total à Swisscom, Sunrise et Salt. Aujourd’hui, Stephan Netzle est inquiet.

Que pensez-vous de la situation actuelle? Les opérateurs sont comme des clients qui ont acheté une voiture. Ils ont dépensé 380 millions pour disposer d’un véhicule qui sort du garage et qui s’arrête ensuite net, car ils ne peuvent plus conduire sur la route prévue… C’est ce qui s’est passé pour les licences 5G: jamais les opérateurs ne s’étaient attendus à de telles difficulté­s pour édifier leurs réseaux, à de tels moratoires et à ne disposer d’aucun soutien de la Confédérat­ion. Swisscom, Salt et Sunrise sont confrontés à des problèmes inouïs, car dans la plupart des cantons, leurs demandes de constructi­on sont retardées ou ne sont plus traitées.

Que pensez-vous de ces moratoires cantonaux? Ils sont illégaux et la situation juridique est très claire: les questions relatives aux rayonnemen­ts non ionisants relèvent de la compétence fédérale. Personne ne peut prétendre le contraire.

Et pourtant, la Confédérat­ion n’intervient pas… C’est incompréhe­nsible. Je suis avocat, et j’ai des difficulté­s à accepter que les moratoires des cantons soient tolérés. Je peux comprendre que les autorités cantonales sont soumises à d’énormes pressions des milieux anti-5G et décrètent des moratoires de fait. Et ils ne reçoivent aucune directive de Berne. L’attitude du Conseil fédéral m’étonne.

Estimez-vous que les anti-5G sont trop écoutés? Beaucoup d’opposants n’argumenten­t pas avec des faits scientifiq­ues et le lancement de plusieurs initiative­s est habile. Cela paralyse encore plus la Confédérat­ion qui ne veut pas s’opposer à eux. Mais je pense que le gouverneme­nt devrait faire preuve de courage.

De quels moyens disposez-vous pour faire évoluer la situation? Nous sommes intervenus auprès du Conseil fédéral et avons participé au groupe de travail sur la 5G.

Nous donnons notre avis lorsque des postulats et des interpella­tions sont lancés au parlement.

En avez-vous parlé à Simonetta Sommaruga, qui dirige le Départemen­t fédéral de l’environnem­ent, des transports, de l’énergie et de la communicat­ion? La ComCom lui a soumis une propositio­n concrète, mais jusqu’à présent, sans succès. Le 22 avril, le Conseil fédéral a décidé du statu quo et commandé un nouveau rapport pour dans deux ans. Deux ans, vous rendez-vous compte? Dans l’économie privée, si vous demandez un rapport dans un tel délai, vous perdez votre job. Le gouverneme­nt semble jouer la montre alors qu’il dispose déjà de tous les éléments pour aider les opérateurs à déployer la 5G, comme le font tous les pays en Europe. C’est pourquoi la ComCom a écrit une lettre à chaque conseiller fédéral pour le rendre attentif à la situation de blocage et ses conséquenc­es négatives pour notre pays.

Que proposez-vous? D’abord, qu’il y ait une utilisatio­n commune des sites existants, en mesurant le rayonnemen­t non pas pour l’ensemble des émetteurs, mais pour chaque émetteur séparément. De manière physique, les émissions des antennes se superposen­t et ne peuvent pas être simplement additionné­es. Ensuite, nous proposons de relever la valeur limite, de 4 à 6 volts par mètre actuelleme­nt, à 11,5 V/m maximum par opérateur. Cela permettra de déployer la 5G dans les villes, sans risque sanitaire.

Si vous n’êtes pas écoutés, la situation risque-t-elle d’être bloquée des années? J’ai l’espoir que la politique reprenne le dossier en main. Nous ne sommes plus en période préélector­ale et les parlementa­ires sont de mieux en mieux informés sur la 5G, ils comprennen­t qu’elle n’apporte aucun risque sanitaire et qu’elle permettra d’accélérer la numérisati­on de la Suisse.

«La 5G est plus efficace en matière de consommati­on énergétiqu­e et permet de favoriser le travail à distance, et ainsi de réduire le trafic routier»

Mais les Verts, dont une partie est opposée à la 5G, sont mieux représenté­s à Berne… Certes, mais ils comprennen­t que la 5G n’est pas différente de la 4G ou de la 3G en termes de rayonnemen­t. Par contre, elle est plus efficace en matière de consommati­on énergétiqu­e et permet de favoriser le travail à distance, et ainsi de réduire le trafic routier. Ce sont notamment les Vert’libéraux qui ont soumis une propositio­n au parlement pour faire avancer l’expansion du réseau mobile 5G. J’ajoute qu’il faut à tout prix éviter une saturation des réseaux mobiles.

Ce risque ne se matérialis­era pas avant plusieurs années. De nombreuses antennes 3G et 4G émettent déjà à pleine puissance, tant la demande en bande passante est forte. Le volume de données mobiles double tous les 18 mois et le risque de saturation, d’ici quelques années, est bien réel. Mais il faut aussi savoir mieux communique­r envers la population. Dire que la 5G permettra d’accéder plus vite à internet n’est pas un argument audible, car tout le monde est satisfait des réseaux actuels. Par contre, même si c’est plus difficile, il faut parler de tout ce que peut apporter la 5G pour les entreprise­s, les voitures autonomes, la télémédeci­ne, l’agricultur­e ou l’internet des objets.

 ?? (ANTHONY ANEX/KEYSTONE) ?? Stephan Netzle: «Les moratoires cantonaux sont illégaux et la situation juridique est très claire: les questions relatives aux rayonnemen­ts non ionisants relèvent de la compétence fédérale. Personne ne peut prétendre le contraire.»
(ANTHONY ANEX/KEYSTONE) Stephan Netzle: «Les moratoires cantonaux sont illégaux et la situation juridique est très claire: les questions relatives aux rayonnemen­ts non ionisants relèvent de la compétence fédérale. Personne ne peut prétendre le contraire.»

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