DES SOLDATS RUSSES AU SERVICE DE LA FRANCE
En avril 1916, 44000 militaires russes débarquent à Marseille pour se battre aux côtés des Français. Maurice Gouiran s’en souvient dans «Tu entreras dans le silence»
◗ Maurice Gouiran – né en 1946 au Rove, dans les Bouches-du-Rhône – aime les sujets un peu tabous et donc souvent négligés par l’histoire. Dans Tu entreras
dans le silence, son dernier et trentième polar, il est parti d’un article de la presse régionale d’avril 1916 relatant l’arrivée à Marseille d’un régiment russe. L’accord entre le sénateur Paul Doumer et le tsar Nicolas II était simple et cynique: des hommes pour l’armée française contre des fusils pour l’armée impériale russe. Dans un premier temps, 44000 hommes répartis en quatre brigades et encadrés par 750 officiers sont envoyés en France. C’est une poignée de soldats de la première brigade que met en scène ce roman qui, précise bien son auteur, «reste une oeuvre de fiction».
Ils s’appellent Kolya, Slava, Iouri et Rotislav. Ils ont fait un voyage long et épuisant pour éviter les pays ennemis. Un périple de plus de 30000 kilomètres qui les a conduits de Moscou à Marseille en passant par Saïgon, Singapour, Colombo, Djibouti et le canal de Suez. A peine débarqués, et après une virée dans les quartiers chauds où Slava disparaît, sans doute tué dans une bagarre, nos jeunes soldats partent pour le front et ses horreurs.
DÉPORTATION ET ÉVASION
C’est là que leur parviennent les premiers échos de la révolution bolchevique. Plus question désormais d’obéir aveuglement aux officiers. Pour éviter que ce vent de rébellion ne s’étende aux troupes françaises, les fauteurs de troubles sont rapidement déportés au camp de la Courtine, dans la Creuse. Après avoir survécu à la boucherie des tranchées, Kolya, l’ancien journaliste anarchiste, et son ami Rotislav savent bien que la répression par les troupes russes loyalistes ne tardera guère. Ils décident donc de s’évader pour gagner Marseille et, de là, rentrer à Moscou. Un chemin parsemé d’obstacles qui permet notamment à l’auteur de flirter avec le polar.
«Jusqu’où doit-on, ou peut-on, aller pour être fidèle à son idéal?», s’interroge Maurice Gouiran dans ce livre. Chacun de ses personnages y répond à sa manière, sans craindre de se perdre à jamais.
Parallèlement, l’écrivain profite de ce roman pour rendre hommage à Marseille, à son ardeur, ses cafés, sa gouaille. Une ville qui, en ce début de XXe siècle, est loin d’être séduisante au premier coup d’oeil, qui n’attire ni par ses monuments ni par ses immeubles mais dont le charme «est ailleurs, dans les amoncellements odorants et colorés des trésors qui ont mûri sur des terres lointaines et qui débordent de ses quais, dans ces venelles étranges où l’on croise des aventuriers sans le sou qui ont traversé mille mers et savent raconter, au comptoir des cafés, la magie des océans, des golfes, des îles et des archipels.»