LA PATERNITÉ, TOUTE UNE AFFAIRE
Avec «Les Enfants des autres», Pierric Bailly propose un thriller familial, ludique et très crédible. L’occasion de sonder les émotions contradictoires qui surgissent quand on est parent
◗ Il y a du cauchemar dans l’air, et ce, dès la première page des Enfants
des autres de Pierric Bailly: Bobby prend sur le vif sa femme Julie en tendre compagnie avec son meilleur ami, Max. Le lecteur voit la scène par les yeux de Bobby, narrateur sympathique et drôle malgré le ciel qui vient de lui tomber sur la tête. On le suit dans le geyser émotionnel qui bouscule toute la maisonnée: Bobby (pour Robert, prénom qu’il n’aime pas, et qui était celui du grand-père décédé juste avant sa naissance) se terre dans sa chambre, fuit sa femme et ses enfants, renonce à aller travailler. La nuit venue, il s’installe sur le canapé du salon mais préfère finalement sortir pour une balade en forêt, qui se termine au milieu du jardin, le nez dans l’herbe.
«QUELS ENFANTS?»
Mais le meilleur est à venir et surgit d’ailleurs très vite, achevant de placer Les Enfants des autres sous la tension nerveuse des romans à suspense: quand Bobby ressurgit à la maison après sa nuit sur le gazon, suivie par une nuit chez sa grand-mère (grande buveuse de Canada Dry), il demande banalement: «Les garçons, ça va?» Et sa femme de répondre: «Mais quels enfants? De quels enfants tu parles? C’est pas les nôtres, Bobby…»
Pierric Bailly met beaucoup de jeu dans cette cavalcade, menée tambour battant, autour de la vie de famille. Jeu avec le lecteur bien sûr qui ne peut mettre en doute la vision des choses de Bobby, avant que le doute ne s’insinue. Jeu avec le genre du thriller lui-même qui dramatise la banalité du quotidien. La vie de famille est en soi un roman à suspense semble dire l’auteur et le roman en est une démonstration très drôle. «La vie de famille, c’est un truc de dingue, je te jure», lâche Max, l’ami de Bobby, à la toute fin.
EFFET CANADA DRY
Chaque personnage aura à ce stade traversé l’éventail des émotions de la parentalité (de la nostalgie pour la vie d’avant à l’amour inconditionnel pour ses enfants), aura fantasmé sur une autre vie que la sienne. Et le lecteur aura vu ses convictions chanceler plusieurs fois, découvrant que les uns et les autres ne sont pas celles et ceux qu’il pensait. L’effet Canada Dry opère bien au-delà de la maison de la grand-mère. Avec ce cinquième roman, Pierric Bailly, qui a grandi près de Lons-le-Saunier et qui vit aujourd’hui à Lyon, confirme son talent pour modeler une langue qui charrie le présent, l’époque, avec sa vitesse, son esthétique, son rythme, en droite ligne des séries.