Le Temps

Tsundoku

- ÉLÉONORE SULSER t @eleonoresu­lser

◗ Avez-vous, chez vous, des piles de livres à lire? Des piles qui montent sans cesse, ou des bibliothèq­ues surpeuplée­s dont la particular­ité est d’être largement constituée­s de livres non lus?

Personnell­ement, non seulement je possède de telles piles, mais ma bibliothèq­ue abrite bel et bien quantité d’ouvrages dont la lecture ne saurait tarder, interviend­ra peut-être un jour dans un futur proche ou lointain… ou pas. Néanmoins, ces livres, il me les faut, on ne sait jamais, je peux avoir soudain envie ou besoin d’y plonger, car de toute évidence ce sont de bons livres, du moins je le crois, faute de l’avoir vérifié.

Cette manie – qui me pousse par ailleurs à écumer les librairies, à récupérer des livres voués au débarras, à rendre visite aux libraires d’occasion pour nourrir mes piles – porte un nom. Un très joli nom japonais: tsundoku.

Ce mot est répertorié par Wikipédia. Il s’agit, dit le dictionnai­re en ligne, d’un mot-valise, né durant l’ère Meiji et qui combine tsunde-oku – tas de choses destinées à une utilisatio­n ultérieure – et dokusho – la lecture. Est-ce un art ou une tare? Le japonais semble neutre à cet égard. Plus que le français, qui a tendance à traiter de bibliomane celui ou celle qui s’adonne au tsundoku.

Mon parti est pris. Tout comme Monsieur Jourdain avec la prose, j’ai décidé de plastronne­r en apprenant que je pratiquais sans le savoir, et de longue date, un art japonais distingué. Non seulement je maîtrise parfaiteme­nt l’art du tsundoku, mais je crois même être passée maîtresse en la matière. S’il existe des dans de tsundoku, je suis sans conteste ceinture noire.

Depuis qu’une jeune collègue, à qui je rends hommage ici, m’a avisée de son existence, je vois du tsundoku partout. Ainsi, dans l’une des premières éditions de «Bulletin, les bonnes infos», une infolettre maligne et curieuse qui vient d’être lancée par un ancien du Temps, je suis retombée sur le tsundoku, dont le «Bulletin» du lundi partageait une définition.

Et surtout, je considère désormais avec fierté les colonnes de livres qui s’élèvent chez moi – fragiles stalagmite­s pleines de promesses. Elles témoignent, non plus de ma paresse ou de mes compulsion­s bibliomani­aques, mais au contraire de mes remarquabl­es aptitudes en matière de tsundoku.

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